Page:Dickens - Bleak-House, tome premier.pdf/340

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Lorsqu’un inconnu entre dans la boutique (comme le font beaucoup d’inconnus) en disant : « M. Snagsby y est-il ? » un violent battement de cœur ébranle la poitrine du papetier ; cette question le fait tant souffrir, que, si elle vient d’un enfant, il se venge en tirant les oreilles du gamin par-dessus le comptoir, et demande à ce vaurien ce qu’il entend par ces paroles et pourquoi il ne dit pas tout de suite le sujet qui l’amène. Il lui semble que tous les chalands s’entendent pour renouveler ses peurs et le terrifier par leurs questions sans nombre ; si bien qu’à l’heure où le coq de la laiterie de Cursitor-street annonce le jour, M. Snagsby se trouve plongé dans un affreux cauchemar et secoué vivement par sa petite femme qui s’écrie :

«  Mais qu’est-ce qu’il a donc ? »

Et sa petite femme n’est pas le moindre de ses embarras ; cette nécessité de lui cacher un secret, de se tenir toujours en garde pour ne pas se laisser tirer les vers du nez, donne à M. Snagsby, en présence de son épouse, l’air d’un chien qui a quelque chose sur la conscience, et qui regarde n’importe où pour éviter l’œil de son maître ; signes trop évidents, hélas ! que remarque la petite femme. C’est ainsi que le soupçon est entré dans Cursitor-street ; du soupçon à la jalousie, le chemin est aussi court et aussi naturel que de Cursitor-street à Chancery-Lane, et la jalousie a pénétré dans la maison du papetier ; une fois introduite, et elle n’a pas eu grand’peine, elle éveille chez la petite femme une activité que rien n’arrête ; elle la pousse à l’examen nocturne des poches de M. Snagsby, à la lecture de sa correspondance, à des recherches dans ses livres de compte, dans ses tiroirs, dans sa caisse ; à faire le guet aux fenêtres, à écouter aux portes et à prendre tout de travers.

Mistress Snagsby est tellement alerte, qu’aux mystérieux craquements du plancher, aux frôlements inexplicables de vêtements invisibles, qui bruissent perpétuellement dans l’ombre, on dirait la maison hantée par des revenants ; les apprentis supposent qu’il faut que jadis il y ait eu quelqu’un d’assassiné par là ; et Guster, rassemblant les atomes dispersés d’une idée qu’elle a recueillis à Tooting, où ils trottaient dans la tête des orphelins, pense qu’il y a dans la cave un trésor gardé par un vieillard à barbe blanche, qui est là depuis soixante-dix mille ans sans pouvoir en sortir, parce qu’il a dit son Pater noster à rebours.

« Qu’est-ce que c’était donc que ce Nemrod ? se demande continuellement la petite femme ; et cette lady… cette créature ? et ce garçon ?… Qu’est-ce que tout ça peut être ?… » Nemrod est