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d’une mauvaise toile, gisait l’homme du Shropshire, vêtu à peu près comme la première fois que nous l’avions vu, mais tellement changé qu’au premier abord j’eus de la peine à le reconnaître.

Il n’avait pas cessé d’écrire depuis sa réclusion et de s’appesantir sur les griefs dont il avait à se plaindre. Des tronçons de plume, de vieux manuscrits, des papiers de toute espèce couvraient pêle-mêle la table et les planches qui se trouvaient dans le cabinet ; auprès du lit, réunion touchante et douloureuse, était assise la pauvre folle qui tenait la main gauche du malade entre les siennes ; ils se regardaient et nous restâmes près de la porte.

Sa voix, l’expression farouche de son visage, sa colère, sa force, tout s’était évanoui ; l’ombre seule de l’homme du Shropshire apparaissait à nos yeux ; il inclina la tête quand il nous aperçut, et s’adressant à mon tuteur :

« Monsieur Jarndyce, lui dit-il, c’est bien bon à vous d’être venu me voir ; je suis heureux de toucher votre main, monsieur ; oui, vous avez le cœur bon et juste, Dieu sait combien je vous estime et vous honore. »

Mon tuteur lui serra la main d’un air ému et prononça quelques paroles consolantes.

« Peut-être, monsieur, reprit Gridley, trouverez-vous cela bizarre, et pourtant rien n’est plus vrai ; je n’aurais pas voulu vous voir aujourd’hui, si vous ne m’aviez pas connu auparavant ; mais vous savez que j’ai combattu, que j’ai lutté seul contre eux tous, que je leur ai montré ce qu’ils étaient et ce qu’ils avaient fait à mon égard ; il m’est donc indifférent que vous me voyiez à cette heure où je ne suis plus qu’une ruine de moi-même.

— Vous leur avez assez prouvé que vous ne manquiez pas de courage, lui dit M. Jarndyce.

— Oui, répondit-il avec un pâle sourire. Je vous ai dit ce qui arriverait le jour où ma colère s’éteindrait ; voyez, monsieur, regardez-nous tous les deux. »

Il passa la main de miss Flite sous son bras et l’attira vers lui :

« De toutes mes affections, dit-il, de mes travaux, de mes espérances, de ma vie tout entière enfin, voilà ce qui me reste : la sympathie de cette pauvre créature, la seule qui ait avec moi quelque rapport ; de longues années de souffrances nous ont unis ; et c’est, de tous les liens que j’avais sur terre, le seul que la chancellerie n’ait pas rompu.