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de papiers qu’il jeta aux gentlemen placés au-dessous de lui, et quelqu’un dit alors : « AFFAIRE JARDNYCE CONTRE JARDNYCE. » À peine ces mots étaient-ils prononcés, qu’un grand mouvement eut lieu dans l’assemblée ; on se mit à rire, presque tout le monde quitta l’audience, et l’on apporta dans la salle des piles de dossiers et une énorme quantité de sacs bleus qui en étaient également remplis.

Autant que je pus en juger, l’affaire était appelée pour des règlements de compte relatifs aux frais de la cause ; je comptai vingt-trois gentlemen en perruque qui déclarèrent appartenir au procès, et qui ne paraissaient pas y comprendre beaucoup plus que je ne le faisais moi-même ; ils en parlèrent avec le chancelier, s’expliquèrent et se contredirent réciproquement ; quelques-uns proposèrent de lire à la cour d’énormes volumes d’affidavits, plaisanterie qui excita un rire général, mais qui n’eut pas d’autre résultat que d’amuser l’auditoire. Enfin, après une heure environ, pendant laquelle beaucoup de plaidoiries avaient été commencées et interrompues, la cause fut « renvoyée pour le présent, » à ce que nous dit M. Kenge, et les dossiers furent remis en paquet avant qu’on eût fini d’apporter toutes les pièces.

Je regardai Richard et je fus vivement peinée de l’abattement qu’exprimait son visage. « Cela ne durera pas toujours, dame Durden ; nous serons plus heureux la prochaine fois. » C’est là tout ce qu’il put dire.

J’avais vu M. Guppy apporter des papiers et les arranger pour M. Kenge ; il m’avait aperçue et m’avait fait un salut expressif qui me donnait le plus grand désir de m’en aller. J’avais pris le bras de Richard et nous partions quand M. Guppy nous aborda.

«  Je vous demande pardon de vous arrêter, nous dit-il ; mais il y a ici une personne de mes amis qui connaît miss Summerson et qui serait heureuse de lui serrer la main. » En même temps je vis apparaître, comme si elle fût sortie vivante de mon souvenir, mistress Rachaël, la gouvernante de ma marraine.

«  Comment vous portez-vous ? me dit-elle ; me reconnaissez-vous, Esther ?

— Oui, répondis-je en lui donnant la main ; vous êtes toujours la même.

— Je m’étonne que vous vous rappeliez encore ce temps-là, poursuivit-elle avec la même dureté d’expression qu’autrefois ; il y a un si grand changement ! c’est égal, je suis bien aise de voir que vous n’êtes pas trop fière pour me reconnaître. »