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M. Jarndyce parut en éprouver une véritable peine, mais je doute qu’il fût surpris de cette nouvelle détermination. Lui et Richard eurent, à ce sujet, de longues conférences ; ils passèrent des jours entiers à Londres, allèrent cent fois chez M. Kenge, et rencontrèrent une foule de difficultés excessivement désagréables. Pendant tout ce temps-là, mon tuteur, bien qu’il souffrît beaucoup du vent d’est, fut toujours aussi bon et aussi aimable qu’à l’ordinaire pour Éva et pour moi ; mais il garda une réserve complète sur cette affaire ; et tout ce que nous pûmes obtenir, ce fut l’assurance que nous donna Richard que tout allait parfaitement, et s’arrangerait à merveille, ce qui était loin de nous rassurer.

Nous apprîmes cependant qu’une demande avait été faite au lord chancelier, Richard étant pupille de la cour, ce qui avait fourni au grand chancelier l’occasion de dépeindre Richard, en pleine audience, comme un esprit capricieux qui ne ferait jamais rien. L’affaire, remise de semaine en semaine, avait donné lieu à des référés, à des pétitions, à des rapports sans nombre, au point que Richard en vint lui-même à nous dire que si jamais il entrait dans l’armée, ce serait comme vétéran, après la soixantaine. Enfin, rendez-vous lui fut donné dans le cabinet particulier du grand chancelier, où milord lui reprocha sévèrement de perdre son temps et de ne pas savoir prendre une décision. « Bonne plaisanterie de la part de ces gens-là, nous dit Richard, que de parler de temps perdu et de décision à prendre. » Toutefois sa demande lui fut accordée, son nom fut inscrit à l’état-major des gardes à cheval, pour obtenir une commission d’enseigne ; le prix du brevet fut déposé chez un agent. Richard, suivant sa manière habituelle de procéder, s’enfonça jusqu’aux oreilles dans les études spéciales qu’exige l’état militaire, et se leva à cinq heures du matin pour s’exercer au maniement du sabre.

C’est ainsi que les vacances de la cour succédèrent aux sessions et les sessions aux vacances. Nous entendions dire de temps en temps que l’affaire Jarndyce était rappelée, suspendue, reprise ou ajournée, sans jamais rien savoir de concluant à ce sujet. Richard, qui était alors chez un professeur à Londres, ne venait plus nous voir aussi souvent ; mon tuteur gardait toujours la même réserve ; enfin les mois s’écoulèrent, la commission d’enseigne fut obtenue, et Richard reçut l’ordre de rejoindre son régiment qui était en Irlande.

Il arriva un soir en toute hâte, apportant cette nouvelle, et eut un long entretien avec M. Jarndyce ; plus d’une heure s’é-