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mée que je me vis obligée, pour que ma robe ne fût pas mise en pièces, d’en revenir aux contes de fées. De temps en temps un bruit de voix arrivait jusqu’à nous, et les meubles, qu’on remuait violemment dans la salle à manger, me faisaient craindre que le pauvre M. Jellyby ne se jetât par la fenêtre pour aller chercher ailleurs la solution des affaires qu’il ne pouvait comprendre.

En revenant le soir à Bleak-House, après cette journée d’émotions, je pensai au mariage de Caddy, et je restai convaincue, malgré la charge du vieux gentleman, qu’elle ne pourrait que gagner à changer de position. Il y avait peu de chance, il est vrai, pour qu’elle finît, ainsi que Prince, par apprécier à sa juste valeur l’illustre modèle de grâce et de maintien ; mais qui aurait pu leur souhaiter plus de sagesse et de clairvoyance ? Quant à moi, qui m’en serais bien gardée, j’étais presque honteuse de ne pas prendre au sérieux la suprême distinction du dernier gentleman. Rassurée à l’égard de la pauvre Caroline, je pensai, en regardant les étoiles, à ceux qui parcouraient les mers lointaines, et je demandai au ciel d’avoir toujours le bonheur d’être utile à quelqu’un dans la mesure de mes forces.

Quand j’arrivai au château, ils furent si heureux de me revoir, et me le témoignèrent avec tant d’empressement, que j’aurais volontiers pleuré de joie, si ce n’eût pas été le moyen de leur déplaire.

Chacun dans la maison, du premier jusqu’au dernier, me faisait un si joyeux accueil, et se montrait si content de faire quelque chose qui pût m’être agréable, que je ne crois pas qu’il y ait jamais eu de créature aussi heureuse que moi dans le monde.

Toute la soirée fut employée à causer ; j’avais tant de choses à raconter sur Caroline à propos de son mariage, qu’une fois dans ma chambre, je me sentis presque honteuse d’avoir parlé si longtemps ; comme je songeais à tout ce que j’avais dit, un coup léger fut frappé à ma porte, et je vis entrer une jolie petite fille, proprement vêtue de noir, qui me fit la révérence.

«  Je suis Charley, pour vous servir, me dit-elle d’une voix pleine de douceur.

— Ah ! c’est vrai, lui répondis-je en l’embrassant ; mais comment se fait-il que vous soyez ici, Charley ? du reste, je suis bien contente de vous voir.

— C’est que je suis votre femme de chambre, miss, répondit-elle.

— Comment cela, Charley ?