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— Il faut que vous soyez bien absurde, pour me faire une pareille demande, Caroline, après ce que je viens de vous dire des préoccupations de mon esprit.

— Vous nous donnerez votre consentement et vous ferez des vœux pour notre bonheur ? ajouta la pauvre fille d’un ton suppliant.

— Vous n’êtes qu’une folle et qu’une sotte, d’avoir ainsi perdu votre avenir, enfant dégénéré, quand il vous était si facile de vous dévouer aux grandes mesures d’intérêt public ; mais enfin la chose est faite, j’ai pris un secrétaire et il n’y a plus à y songer. Allons, dit-elle en éloignant sa fille qui était venue l’embrasser ; ne me retardez pas ; il faut que j’aie parcouru cette énorme quantité de lettres avant l’arrivée du prochain courrier. »

J’allais partir quand je fus retenue par ces paroles de Caroline :

— Vous ne vous opposez pas à ce que je vous l’amène, maman ?

— Allez-vous recommencer ? dit mistress Jellyby qui était retombée dans sa contemplation du Niger. Amener qui ?

— Lui, maman.

— Oh ! mon Dieu, répliqua mistress Jellyby fatiguée d’entendre parler encore d’un sujet aussi peu important ; amenez-le, si vous voulez, un soir où je n’aurai pas de réunion de la société maternelle ou de celle des ramifications, ou des succursales, ou de n’importe quelle autre association ; enfin choisissez votre jour d’après l’emploi de mon temps. C’est bien bon à vous, ma chère miss Summerson, d’avoir prêté votre concours à cette petite sotte ; adieu, chère miss ; quand vous saurez que j’ai reçu ce matin cinquante-huit lettres de familles industrielles qui désirent avoir des détails sur la culture du café en Afrique et sur les indigènes de Borrioboula-Gha, vous comprendrez qu’il me reste peu de loisirs. »

Je le compris à merveille ainsi que l’abattement de la pauvre Caddy, et je ne fus pas surprise des larmes que cette chère enfant versa de nouveau quand nous fûmes en bas de l’escalier, en me disant qu’elle aurait mieux aimé des reproches que cette indifférence, et en me confiant qu’elle ne savait pas comment elle ferait pour s’habiller d’une manière convenable le jour de son mariage, tant sa garde-robe était pauvre. Je la consolai peu à peu en lui montrant tout le bien qu’elle pourrait faire à son malheureux père, une fois qu’elle serait chez elle. Et nous descendîmes ensuite dans la cuisine où les enfants se traînaient sur les dalles, et où nous commençâmes avec eux une partie si ani-