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puis cela augmente mon irrésolution d’être constamment près de la scène où se débattent nos intérêts. Aussi, continua-t-il d’un ton plein d’assurance, vers quelle carrière pensez-vous que j’aie naturellement dirigé ma pensée ?

— Je ne m’en doute pas, répondis-je.

— N’ayez pas l’air si grave, petite mère, c’est ce que je puis faire de mieux ; ce n’est pas comme si j’avais besoin d’une profession que je dusse continuer toute ma vie. Ce procès aura une fin, et alors je serai pourvu. Je regarde donc cette nouvelle carrière comme quelque chose de provisoire et qui, par cela même, convient à merveille à la position passagère où je me trouve ; ne devinez-vous pas, Esther ? »

Je fis un signe négatif.

«  Comment ? dit Richard d’un ton surpris, mais l’armée !

— L’armée ! répondis-je.

— Certainement ! Qu’ai-je à faire pour y entrer ? Obtenir un brevet et c’est une chose finie. Supposez maintenant, dit-il en prenant son carnet afin de prouver son raisonnement par des chiffres, supposez que j’aie fait en dehors de l’armée deux cents livres de dettes en six mois, dettes que je ne ferai pas dans l’état militaire, j’y suis bien résolu ; c’est donc une économie de quatre cents livres par an et de deux mille en cinq ans, ce qui fait une somme considérable. »

Il me parla ensuite avec tant de sincérité du sacrifice qu’il faisait en s’éloignant d’Éva, et de l’ardeur avec laquelle il aspirait à assurer l’heureux avenir de cet ange adoré, du soin qu’il apporterait à vaincre ses défauts, à acquérir l’esprit de décision qui lui manquait, enfin à se rendre digne de son amour, que j’en eus le cœur brisé, car je prévoyais trop comment tout cela devait finir, puisque désormais son caractère avait subi l’atteinte fatale de cette influence maudite qui avait flétri tout ce qu’elle avait touché.

Je lui répondis avec toute la chaleur que je pus y mettre et le suppliai, pour l’amour d’Éva, de ne pas compter sur un jugement illusoire et de ne plus penser à ce procès. Il approuva toutes mes paroles, s’éleva contre la cour et la procédure avec sa verve habituelle, fit un brillant tableau des résolutions qu’il voulait prendre et de ce qu’il serait un jour… hélas ! quand ce malheureux procès le lui aurait permis. Notre conversation dura longtemps encore, et nous en revînmes toujours à cette conclusion désespérante.

À la fin nous arrivâmes à Soho-square, où Caroline m’avait donné rendez-vous ; elle était dans le jardin et s’empressa de