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BLEAK-HOUSE

der à travers mes larmes. Ma marraine avait laissé à mistress Rachaël tout ce qu’elle possédait, et cette chère maison était déjà en vente. Un vieux tapis où il y avait des roses, et qui me semblait tout ce qu’on pouvait voir de plus beau sur la terre, pendait négligemment à l’extérieur, exposé au froid et à la neige. Deux jours avant mon départ, j’avais enseveli ma vieille poupée dans son châle, et, j’ai presque honte de l’avouer, je l’avais enterrée sous le grand arbre qui ombrageait la fenêtre de ma chambre. Il ne me restait d’autre compagnon que mon serin, et je l’emportai dans sa cage.

Lorsque je ne vis plus la maison, je m’assis, avec mon oiseau à mes pieds, et je regardai les arbres couverts de givre, le soleil qui brillait sans chaleur, et la glace qui ressemblait à de l’acier, aux endroits où les patineurs et les enfants, dans leurs glissades, avaient chassé la neige. Sur la banquette en face de moi, se trouvait un gentleman que tous les habits dont il était couvert faisaient paraître très-gros ; il regardait par la portière, et ne semblait pas faire attention à moi.

Je pensais à ma marraine, à la dernière lecture que je lui avais faite, au visage sévère qu’elle avait conservé jusqu’à sa mort, à l’endroit inconnu où j’allais, aux personnes que j’y trouverais et à la manière dont j’y serais reçue, quand une voix qui résonna tout à coup me fit tressaillir des pieds jusqu’à la tête.

« Pourquoi diable pleurez-vous ? » demandait cette voix.

J’étais si effrayée qu’à peine si je pus répondre.

« Moi, monsieur ? » murmurai-je enfin, comprenant que ce ne pouvait être que le gros gentleman qui eût parlé, bien qu’il eût toujours le nez à la portière.

— Oui, vous ! dit-il en se retournant.

— Je ne savais pas que je pleurais, monsieur.

— Voyez plutôt, reprit le gentleman en passant sur mes yeux ses gros parements de fourrure, mais sans me faire aucun mal et en me montrant qu’ils étaient tout mouillés. Le savez-vous, à présent ?

— Oui, monsieur.

— Qu’est-ce qui vous fait pleurer ? Est-ce d’aller où l’on vous mène ?

— Oh ! non, monsieur, j’en suis très-contente, au contraire.

— Eh bien ! alors, ayez donc l’air joyeux. »

Je trouvais ce gentleman très-singulier, ou du moins ce que je pouvais entrevoir de sa personne, car il était enveloppé jusqu’au menton, et son bonnet fourré lui cachait presque entièrement le visage. Cependant, je n’avais pas peur de lui, et, me remettant