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torze penny du chancelier ; allez vite, ils me connaissent et sauront ce que ça veut dire. »

Le jeune homme se précipite dans la rue et revient aussitôt rapportant la bouteille pleine ; le vieux marchand la reçoit dans ses bras comme un grand-père son petit-fils bien-aimé, et la caresse tendrement.

«  Eh ! eh ! dit-il à voix basse en clignant des yeux après avoir goûté la liqueur, ce n’est pas du quatorze, mais du dix-huit.

— J’ai pensé que ce serait meilleur, répond M. Guppy.

— Vous êtes un vrai gentilhomme, monsieur ! dit le regrattier en avalant une gorgée du précieux liquide et en répandant autour de lui son haleine enflammée ; il faut que vous soyez baron de cette noble terre ! ni plus ni moins. »

Profitant de cette heureuse disposition, M. Guppy présente son ami au vieux marchand sous le nom de M. Weevle, et lui expose le but de leur visite ; Krook, sa bouteille sous le bras, examine attentivement le locataire qu’on lui propose et qui paraît lui convenir. « Vous désirez voir la chambre ? lui dit-il ; ah ! c’est une belle pièce, jeune homme ; passée au lait de chaux et lavée à la potasse. Hi ! hi ! elle vaudrait plus de deux fois le prix que je vous en demande ; sans compter ma société quand bon vous semblera, et une chatte sans pareille pour chasser les souris. »

Le vieillard fait monter les deux amis au second étage où ils trouvent effectivement la pièce en question beaucoup plus propre qu’elle n’avait coutume de l’être, et garnie de quelques vieux meubles exhumés, par le regrattier, de son magasin de vieilleries. L’affaire ne présente aucune difficulté, le vieux chancelier ne peut que se montrer fort coulant avec M. Guppy, un gentleman qui a d’étroites relations avec Jarndyce, Kenge et Carboy, et tant d’autres qui ont des titres incontestables à sa protection ; il est donc arrêté que M. Weevle entrera le lendemain dans la chambre de M. Krook. Cette affaire terminée, M. Guppy conduit M. Weevle à Cursitor-Street, le présente à M. Snagsby, et, chose plus importante, obtient pour son protégé l’intérêt et le bon vouloir de la petite femme du papetier. Ils reviennent enfin raconter le résultat de leurs démarches à M. Smallweed qui, sous son grand chapeau, les attend à l’étude, et se séparent en échangeant une poignée de main cordiale. M. Guppy explique à ses amis qu’il aurait volontiers couronné la fête en les menant au spectacle ; « mais il y a dans le cœur humain de ces cordes qui feraient de ce plaisir une dérision amère ! »