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— C’est une léthargie plutôt qu’un somme, répond M. Guppy en imprimant au vieillard une secousse nouvelle. Ohé ! Votre Seigneurie ! On pourrait le voler cent fois ; réveillez-vous, monsieur Krook ! »

Il ouvre enfin les yeux, mais sans rien voir ; et bien qu’il passe une de ses jambes par-dessus l’autre, croise les mains, ouvre et ferme à plusieurs reprises ses lèvres desséchées, il paraît aussi étranger qu’auparavant à tout ce qui se fait autour de lui.

«  Il est en vie, par ma foi ! s’écrie M. Guppy ; comment vous portez-vous, milord chancelier ? Je vous amène un de mes amis pour vous parler d’affaires. »

Le vieillard est toujours immobile et continue à faire claquer ses lèvres. Au bout de quelques minutes, il essaye de se lever ; ses deux visiteurs viennent à son aide, il trébuche, s’appuie contre le mur et les regarde fixement.

«  Comment vous portez-vous, milord ? reprend M. Guppy légèrement décontenancé ; vous avez une mine charmante, monsieur Krook ; j’espère que vous vous portez bien ? »

M. Krook répond par un coup de poing qu’il adresse, soit à M. Guppy, soit à toute autre chose, n’atteint que le vide, chancelle, fait un demi-tour sur lui-même et tombe la face contre le mur ; il reste ainsi pendant quelques instants, et finit par se traîner jusqu’à la porte. Arrivé sur le seuil du magasin, le grand air, le tapage qu’on fait dans la rue, le temps qui s’écoule le rappellent à lui-même ; il revient dans l’arrière-boutique d’un pas assez ferme, rajuste son bonnet fourré sur sa tête et fixe un regard pénétrant sur MM. Jobling et Guppy.

«  Votre serviteur, gentlemen ; je m’étais endormi à ce qu’il paraît ; hi ! hi ! Il y a de ces fois où j’ai le sommeil un peu dur.

— Pour ça, nous venons d’en voir quelque chose, lui dit M. Guppy.

— Est-ce que vous avez eu de la peine à m’éveiller ? demande le soupçonneux vieillard.

— Un peu, » répond Jobling.

M. Krook regarde la bouteille vide, la prend, l’examine et la met sens dessus dessous.

« Quelqu’un, s’écrie-t-il, a pris la liberté de…

— Je vous assure qu’elle était vide quand nous sommes arrivés ; voulez-vous me permettre, dit M. Guppy, de la faire remplir pour vous ?

— Si je le veux ! mais certainement, s’écrie M. Krook avec joie ; allez la faire emplir aux Armes d’Apollon ; demandez le qua-