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ment des patriarches à tête chauve qui les conservent plus de dix minutes après la demande qu’il en a faite ; il refuserait le pain entamé si on avait l’impudence de le lui offrir, et n’accepterait pas un rôti qui ne fût dans son entier, à moins que ce ne soit dans le cœur même du filet ; quant au jus, il est impitoyable.

Convaincu de son pouvoir mystérieux, et se soumettant à sa vieille expérience, M. Guppy le consulte, et s’en rapporte à lui pour le menu du festin.

«  Que prenez-vous, Small ? lui dit-il quand la fille eut débité le catalogue des viandes qu’elle pouvait leur fournir.

— Apportez-moi du veau au lard et des haricots verts, dit Small avec aplomb ; surtout, Polly, n’oubliez pas la farce. » ajoute-t-il avec un clignement expressif de son œil vénérable.

MM. Guppy et Jobling font exactement la même demande, à laquelle on ajoute trois pintes de half-and-half. La fille revient prestement, chargée d’une espèce de tour de Babel, composée d’une pile d’assiettes, de plats d’étain, de cuillers et de fourchettes ; M. Smallweed, satisfait de ce qu’elle pose devant lui, cligne sa paupière reconnaissante et jette à Polly un regard d’une intelligente bénignité. Enfin, au milieu d’un va-et-vient continuel, du cliquetis des plats et des assiettes, du bruit de la machine qui monte les portions, des cris aigus qui en demandent de nouvelles, des comptes divers de toutes celles qui ont été données, de la vapeur des mets et d’une atmosphère qui semble tourner spontanément les couteaux et les nappes en flots de graisse et en taches de bière, nos trois juristes apaisent leur appétit.

M. Jobling est boutonné avec un soin que ne motivent pas suffisamment les règles du bon goût ; le bord de son chapeau est d’un aspect brillant, de nature particulière, comme s’il avait servi de promenoir favori à un colimaçon ; diverses parties de son habit, notamment les coutures, présentent le même phénomène ; son extérieur est celui d’un gentleman un peu gêné dans ses affaires ; jusqu’à ses favoris clair-semés qui ont un air râpé.

La vigueur de son appétit fait penser qu’il a fait maigre chère depuis longtemps ; il a si vite expédié sa portion de veau et de lard, tandis que ses camarades sont à peine à la moitié de la leur, que M. Guppy lui en propose une autre.

« Merci, répond-il ; je crois vraiment que je vais en prendre une seconde. »

Une autre portion est apportée, Jobling l’attaque avec autant d’ardeur que la première.

M. Guppy l’observe en silence jusqu’au moment où, arrivé à