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— Miss Summerson, madame ! s’écrie M. Guppy vivement surexcité.

— Je l’appelle tout simplement Esther, répond Mme Chadband avec austérité ; de mon temps, il n’y avait pas de miss Esther ; on disait tout bonnement Esther par-ci, Esther par-là ; elle y était habituée.

— Chère madame, reprend M. Guppy en traversant le petit salon d’un pas rapide, l’humble individu qui vous parle en ce moment est celui qui reçut cette jeune lady à son arrivée à Londres quand elle quitta l’établissement auquel vous avez fait allusion ; permettez-moi d’avoir le plaisir de vous toucher la main. »

M. Chadband, trouvant dans la circonstance une occasion favorable pour remettre à la voile, fait le signal qui lui est habituel, se lève, et tamponne sa tête fumante avec son mouchoir de poche, tandis que Mme Snagsby murmure un « Chut ! » respectueux.

«  Mes amis, dit-il, nous avons profité avec modération du repas confortable qui était placé devant nous (il aurait aussi bien fait de ne pas parler de modération, en ce qui le touchait personnellement). Puisse la terre, dans sa fécondité, remplir de ses biens cette maison hospitalière ! puissent le pain et le vin abonder dans cette demeure ! puisse-t-elle croître et prospérer, cette maison bénie ! puisse-t-elle avancer toujours dans la voie de la fortune et du bonheur ! Mais n’avons-nous pas, mes amis, partagé d’autres biens que ceux du corps ? Assurément ! et quels sont-ils, ces autres biens dont nous avons bénéficié ? des biens spirituels, mes amis ! et d’où vient que nous avons eu le pouvoir de profiter de ces biens précieux ?… Avancez, mon jeune ami ! »

Ainsi apostrophé, Jo regarde l’éloquent Chadband avec une défiance évidente, et jette autour de lui un coup d’œil qui témoigne de ses craintes.

« Mon jeune ami, continue M. Chadband, vous êtes pour nous une perle, un diamant, une pierre précieuse, un joyau inestimable, et pourquoi cela, mon jeune ami ?

— J’sais pas, répond Jo ; moi j’sais rin.

— C’est précisément parce que vous ne savez rien, mon jeune ami, reprend M. Chadband, que vous êtes pour nous une pierre précieuse, un joyau inestimable. Et qu’êtes-vous donc, mon jeune ami ? Êtes-vous un animal des champs ? non !… Un oiseau de l’air ? non !… Un poisson de mer ou d’eau douce ? non !… vous êtes un être humain, mon jeune ami ! Quel sort glorieux que celui d’un être humain ! Et pourquoi est-ce glorieux, mon jeune ami ? parce que vous êtes capable de recevoir