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moi. Il faut que je doive cela à la réputation que j’ai réussi à me faire.

— Vous avez réussi à faire tant de choses, milady, continua mon tuteur, qu’il serait permis de vous imposer quelque pénitence en échange ; mais ce n’est pas moi qui voudrais m’en charger.

— Tant de choses !… répéta-t-elle en riant. Oui, peut-être. »

Elle nous considéra un instant, Éva et moi, comme si nous eussions été pour elle deux enfants ou à peu près ; et se mit à regarder la pluie d’un air calme en s’abandonnant à ses propres pensées avec la même liberté d’esprit que si elle avait été seule.

«  Je crois me rappeler qu’à l’époque de notre voyage à l’étranger, dit-elle à M. Jarndyce, vous étiez plus lié avec ma sœur qu’avec moi.

— Nous nous étions vus plus souvent, répondit mon tuteur.

— Et puis il y avait moins de rapport entre nos deux caractères, et nous étions rarement d’accord, même avant notre séparation complète, reprit lady Dedlock. C’est peut être regrettable ; mais comment l’empêcher ? »

L’orage commençait à se dissiper ; la pluie diminuait peu à peu ; le tonnerre ne grondait plus qu’au loin, et le soleil brillait de nouveau sur le feuillage humide, quand nous vîmes un petit phaéton se diriger de notre côté.

«  Le messager de milady est de retour, et voici la voiture,  » annonça le garde chez qui nous nous trouvions.

Deux personnes descendirent du phaéton, portant des manteaux et des châles ; l’une d’elles était la femme de chambre française que j’avais vue à l’église, et l’autre, la jeune fille que j’avais remarquée auprès de la femme de charge : la première, hardie et provocante ; l’autre, confuse et timide.

«  Comment ! dit lady Dedlock, vous êtes venues toutes deux ?

— C’est moi qui suis votre femme de chambre, milady, répliqua la Française, et le message était sans doute pour moi.

— J’avais peur que ce ne fût moi que vous eussiez voulu désigner, répondit la jolie fille.

— C’était vous que je demandais, mon enfant, reprit milady avec calme ; mettez ce châle sur mes épaules. »

Elle se baissa légèrement pour le recevoir, et la jeune fille le posa sur sa maîtresse ; la Française, à laquelle milady ne faisait nulle attention, avait les lèvres pâles et serrées en regardant sa rivale.

«  Je vois avec peine, monsieur Jarndyce, dit milady à mon tuteur, que nous ne puissions pas renouveler notre ancienne