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manière significative, il est bien loin d’être engagé avec Kenge, et d’avoir rien conclu. » Nous finîmes par l’installer dans une vieille maison bien tranquille, située près du square de la Reine et où il occupait au mois deux petites chambres, convenablement garnies. Son premier soin fut de dépenser tout l’argent qu’il possédait en achat de futilités diverses pour orner son logement ; et, chaque fois qu’Éva et moi nous parvenions à le détourner d’une emplette inutile et dispendieuse, il prenait note de ce qu’elle aurait coûté, achetait quelque chose d’un peu moins cher et envisageait la différence comme un bénéfice clair et net.

Toutes ces affaires avaient retardé notre visite à M. Boythorn. Enfin, Richard ayant pris possession de son logement, rien ne s’opposa plus à notre départ pour le comté de Lincoln ; à l’époque où nous étions, Rick aurait pu venir avec nous sans le moindre inconvénient ; mais il était dans tout le feu de ses débuts chez Kenge, et faisait des efforts inouïs pour débrouiller les mystères de Jarndyce contre Jarndyce.

Il resta donc à Londres, ce qui fut pour Éva l’occasion de vanter avec bonheur son zèle et son activité.

Notre voyage se fit très-agréablement, et nous eûmes dans M. Skimpole un compagnon fort aimable. Ses meubles avaient été saisis par le successeur de Coavinses ; mais la perte de son mobilier paraissait être pour lui un soulagement réel. « Les chaises et les tables, disait-il, sont des objets fatigants par leur monotonie, et qui finissent à la longue par vous exaspérer. Quel avantage de ne pas être lié à tel ou tel fauteuil, de se poser comme un papillon, sur des siéges que vous pouvez varier sans cesse, en les louant chez le tapissier ; de voltiger du bois de rose à l’acajou, du noyer au palissandre et de telle forme à telle autre, suivant l’humeur où l’on se trouve !

«  Ce qu’il y a de bizarre dans cette affaire, ajouta-t-il avec un profond sentiment de ce qu’il y avait de comique dans l’aventure, c’est que mes meubles ne sont pas payés et que mon propriétaire les enlève tranquillement comme s’ils étaient à moi ; ne trouvez-vous pas qu’il y a là quelque chose de grotesque ? Le marchand de tables et de chaises ne s’est pas engagé à payer mon loyer ; pourquoi mon propriétaire va-t-il s’en prendre à lui ? Si j’avais un bouton sur le nez et que ce bouton blessât les idées spéciales que mon propriétaire a conçues de la beauté, ce ne serait pas un motif pour aller écorcher le nez de mon ébéniste, dépourvu de cet ornement ; le raisonnement du propriétaire est complétement défectueux.