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pagnie, c’est vrai ; mais, après tout, c’est un chien qu’on a pris soin d’élever, d’instruire, d’améliorer, qui connaît ses devoirs et sait comment les remplir. Jo et lui écoutent la musique avec la même somme de jouissance animale, et sont probablement tout aussi étrangers l’un que l’autre aux souvenirs, aux aspirations, aux pensées tristes ou joyeuses que la musique éveille chez les hommes ; du reste, sous tous les autres rapports, combien la brute se trouve au-dessus de l’auditeur à face humaine !

Que les descendants du chien, abandonnés à eux-mêmes, retournent, comme Jo, à l’état sauvage, et avant peu ils auront dégénéré au point d’avoir perdu leur faculté d’aboyer, il ne leur restera plus que celle de mordre.

La journée s’avance, le ciel se couvre, il tombe une pluie fine et glacée ; Jo se tire d’affaire comme il peut, au milieu de la boue, des voitures, des parapluies, des chevaux, des coups de fouet, et gagne à peine ce qui lui est nécessaire pour payer le triste abri que lui fournit Tom-all-alone’s. Le crépuscule arrive, le gaz apparaît dans les boutiques, l’allumeur court avec son échelle le long des rues ; c’est une triste soirée que celle qui commence.

M. Tulkinghorn est dans son cabinet ; il médite sur une déclaration qu’il veut faire le lendemain au magistrat du quartier ; Gridley, un plaideur désappointé, dont la violence est extrême, est venu chez lui dans la journée et s’est montré menaçant ; il ne faut pas que nous ayons d’inquiétude pour notre corps respectable, et Gridley doit retourner en prison. L’allégorie du plafond, sous la forme raccourcie d’un Romain impossible, la tête en bas, les pieds en l’air, étend son bras luxé vers la fenêtre qu’il désigne opiniâtrement du doigt. Mais M. Tulkinghorn n’est pas si bête, et pourquoi donc regarderait-il dans la rue ? le Romain n’a-t-il pas toujours le bras tourné de ce côté ? Aussi M. Tulkinghorn reste-t-il à sa place.

Quel intérêt, d’ailleurs, s’il se fût dérangé, aurait-il eu à voir une femme qui passait sous ses fenêtres ? Il y a beaucoup de femmes dans le monde ; M. Tulkinghorn pense même qu’il y en a trop ; elles sont au fond de tout ce qui va de travers ici-bas ; de tous les crimes, de tous les torts ; bien qu’en cela elles aient pourtant le mérite de créer de la besogne aux gens de loi. Mais, qu’importerait à M. Tulkinghorn de voir la femme qui passe, alors même qu’elle s’envelopperait de mystère ? elles sont toutes comme ça ; M. Tulkinghorn le sait très-bien.

Mais elles ne ressemblent pas toutes à celle qui vient de