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est à la ville pour un jour seulement ; demain elle reprendra sa volée vers Chesney-Wold, à la grande confusion du courrier fashionable qui n’en est pas prévenu. L’hôtel n’a pas été préparé pour la recevoir ; il est sombre et emmitouflé ; un seul Mercure, avec sa tête poudrée, est à bayer tristement à la fenêtre de l’antichambre ; il disait, pas plus tard qu’hier au soir, à l’un de ses collègues, habitué comme lui à la bonne société, que si cet état de choses devait se prolonger, il n’aurait, sur son honneur, d’autre parti à prendre que de se couper la gorge.

Quel rapport peut-il y avoir entre ce Mercure, le château du Lincolnshire, l’hôtel de Londres et le pauvre hère sur qui tomba un rayon de lumière céleste le soir où il balaya les marches du cimetière des pauvres ? Quel rapport existe-t-il entre tant de gens qui, des points opposés de l’abîme, n’en sont pas moins rapprochés d’une façon étrange, dans les drames sans nombre que renferme la société ? Jo balaye toute la journée sans avoir conscience de cette chaîne mystérieuse qui le rattache à certains êtres ; quand on lui demande quelque chose, il résume sa condition mentale en répondant « qu’i’n’sait rin. » Il ne sait qu’une chose, c’est qu’il est bien difficile de tenir proprement son passage lorsque le temps est humide ; et plus difficile encore de vivre avec ce qu’il y gagne ; mais c’est lui qui l’a deviné, personne ne lui en apprit jamais aussi long. Il vit, c’est-à-dire qu’il n’a pas encore fini de mourir, dans un endroit indescriptible, que ses pareils connaissent sous le nom de Tom-all alone’s ; c’est une rue sombre et noire, dont les maisons tombent en ruine. De hardis vagabonds s’emparèrent de ces masures à une époque où leur délabrement était déjà fort avancé ; ils s’y installèrent, et, quand ils eurent établi leur droit de possession, ils finirent par louer ces bouges, qui maintenant, chaque soir, renferment un amas de toutes les infamies. Et de même que la vermine pullule sur le corps de l’infortuné que la misère accable, ces ruines ont engendré une multitude immonde qui vient s’y abriter, rampe à travers les murailles béantes, et se replie sur elle-même pour y dormir ; essaim monstrueux de larves sans nombre sur lequel tombe la pluie, gronde le vent, et qui se répand ensuite par la Cité, portant la fièvre, et semant plus de mal sur ses traces que tous les gentlemen de la bureaucratie, depuis sir Thomas Boodle jusqu’au duc de Zoodle, ne pourraient en détruire en cinq cents ans…, quoique nés et mis au monde tout exprès pour cela.

Deux fois depuis peu de temps, un violent fracas, suivi d’un nuage de poussière, a retenti dans Tom-all-alone’s ; c’était, chaque fois, une maison qui s’écroulait. Ces accidents ont rem-