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BLEAK-HOUSE

m’attendais ; » puis, que m’asseyant par terre, le coude appuyé sur son fauteuil, je lui racontais ce que j’avais vu depuis que je l’avais quittée. Je suis observatrice par nature, non pas que je perçoive rapidement les choses qui me frappent ; c’est une façon tacite de remarquer tout ce qui se passe et de penser que j’aimerais à le mieux comprendre. Mon intelligence n’a pas la moindre vivacité ; pourtant quand j’aime quelqu’un, elle semble s’éclairer de mon amour ; mais peut-être me trompé-je, et il est possible que cette croyance ne soit que l’effet de ma vanité.

Comme une princesse des contes de fées, avec cette différence que j’étais loin d’être charmante, je fus élevée par ma marraine ; du moins je ne lui connaissais pas d’autre titre à mon égard. Je crois qu’elle était très-bonne ; elle allait à l’église trois fois tous les dimanches, à la prière du matin le mercredi et le vendredi, et à tous les sermons où elle pouvait assister. Elle était belle, et je pense qu’elle l’eût été comme un ange si elle avait souri ; mais elle était toujours grave, sévère et si parfaite, que la malice des autres l’irrita toute sa vie. Je sentais si bien toute la distance qu’il y avait entre nous, j’étais si peu de chose auprès d’elle, si éloignée de sa perfection, que je n’ai jamais pu l’aimer comme je l’aurais voulu. J’étais bien triste, en la voyant si vertueuse, de me trouver si indigne de ses bontés, et je souhaitais ardemment d’avoir un meilleur cœur ; j’en parlais souvent à ma poupée ; mais je n’ai jamais aimé ma marraine, ainsi que je l’aurais fait si j’avais été bonne.

Ma timidité s’en augmenta, je recherchai la solitude, et je m’attachai d’autant plus à ma poupée qu’elle était ma seule amie, le seul être avec qui je me sentisse vraiment à l’aise. Un épisode de mon enfance vint contribuer encore à développer cette affection pour Dolly et cette humeur craintive qui me faisait aimer la retraite. Je n’avais jamais entendu parler de maman, je ne savais rien de mon père, mais j’éprouvais un plus vif intérêt pour ma mère que pour lui. Personne ne m’avait montré leur tombeau, ne m’avait dit en quel endroit il pouvait être ; je ne me rappelais pas avoir porté de robe noire, et même l’on ne m’avait jamais appris à prier que pour ma marraine. Ce rapprochement se présentait fréquemment à ma pensée quand mistress Rachaël, notre unique servante (une autre femme parfaite, mais très-sévère aussi) emportait la chandelle après m’avoir couchée et s’en allait en me souhaitant le bonsoir d’une voix sèche.

Il y avait sept petites filles à l’école voisine où j’allais comme externe ; elles m’appelaient toutes « la petite Esther Summerson, » mais je n’ai jamais été chez elles. À vrai dire, elles étaient de