Page:Dickens - Bleak-House, tome premier.pdf/205

Cette page a été validée par deux contributeurs.

s’apaisa. S’il en est ainsi, je vous fais bien mes excuses ; je sais que je ne suis pas poli ; mais je vous demande très-sincèrement pardon. Il y a vingt-cinq ans, monsieur, reprit-il avec violence, que je suis sur le gril, et j’ai perdu l’habitude de marcher sur le velours. Vous n’avez qu’à entrer à la chancellerie, monsieur, et à demander quels sont les quolibets dont parfois on y égaye les affaires ; ils vous répondront que le meilleur sujet de plaisanterie qui ait jamais existé, c’est l’homme du Shrospshire, et c’est moi, monsieur, dit-il en frappant avec colère ses mains l’une contre l’autre, c’est moi qui suis l’homme du Shrospshire.

— Je crois que ma famille a également l’honneur de fournir son contingent aux distractions de la cour, dit mon tuteur avec calme. Vous devez me connaître de nom ; je m’appelle Jarndyce.

— Monsieur Jarndyce, reprit l’homme du Shrospshire, vous endurez vos maux plus tranquillement que je ne supporte les miens ; mais voyez vous, si je les prenais autrement, je deviendrais fou. C’est en me révoltant contre eux, en faisant des projets de vengeance, en réclamant avec colère la justice qu’on me dénie, que je parviens à garder ma raison. Vous me direz que je me surexcite et que je devrais me calmer ; je réponds à cela qu’il est dans ma nature de me soulever contre le mal, et que je ne vois pas de milieu entre ma fureur et les sourires perpétuels d’une pauvre petite femme vieille et folle qui fréquente aussi la cour ; si je changeais d’humeur, ce serait pour devenir imbécile. »

Rien n’était plus pénible à voir que sa figure bouleversée par l’indignation, tandis qu’il prononçait avec rage ces paroles véhémentes, qu’il accompagnait de gestes d’une violence excessive.

«  Jugez un peu du fait, monsieur, poursuivit-il : nous sommes deux frères ; mon père était fermier ; par testament, il laisse à ma mère tout ce qu’il possède, sa ferme, son attirail et le reste. À la mort de ma mère, tout cela devait me revenir, à la charge de payer trois cents livres à mon frère. Ma mère vient à mourir ; quelque temps après, mon frère réclame ses trois cents livres. Plusieurs de nos parents prétendent qu’il en a touché une partie à différentes époques, soit en argent, soit en nature, logement, pension, etc. Doit-on considérer cela comme avancement d’hoirie ? C’est là toute la question. Il ne s’agit point d’autre chose ; pas de contestation relative au testament, pas de difficulté d’aucune sorte. Une partie des trois cents livres a-t-elle été payée, oui ou non ? C’est tout ce qu’on veut savoir. Mon frère, pour régler ce différend, m’assigne devant la cour. Je suis obligé de me rendre dans cet endroit maudit ; la loi m’y forçait, et ne voulait pas me permettre de m’expliquer ailleurs. Dix-sept dé-