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tant de lettres dans les mots les plus simples, que bien souvent on ne sait plus ce que ça veut dire ; mais comment pourrait-on espérer qu’il en sût davantage, n’ayant fait toute sa vie qu’apprendre ou montrer à danser, du matin jusqu’au soir ? » Et puis, après tout, la chose importait peu ; elle se chargerait des écritures ; il lui en avait coûté assez cher pour qu’elle sût l’orthographe, et mieux valait que Prince fût aimable que savant. « D’ailleurs, ce n’est pas, dit-elle, comme si j’étais une fille instruite, qui pût se donner des airs ; grâce à maman, je ne sais presque rien non plus.

«  Il y a encore autre chose que je voudrais bien vous dire, à présent que nous sommes seules, continua miss Jellyby ; vous savez quelle maison est la nôtre, miss Summerson, et que je ne pouvais rien y apprendre qui pût m’être utile pour tenir celle de Prince. Nous vivons au milieu d’un tel désordre, que c’eût été perdre mon temps et me décourager tout à fait que d’essayer de m’occuper du ménage ; et devinez avec qui je me suis mise à l’apprendre : avec pauvre miss Flite ! Je vais de bonne heure chez elle ; je l’aide à nettoyer sa chambre, à soigner ses oiseaux ; je lui fais son café (elle m’a montré la manière) ; je réussis tellement bien, que Prince m’a dit n’en avoir jamais goûté de meilleur, et que cela fera les délices du vieux M. Turveydrop, qui est très-connaisseur et très-difficile en fait de café. Je sais faire aussi des puddings, acheter le mouton, le sucre, le thé, le beurre et une foule d’autres choses. Par exemple, je ne suis pas très-habile à travailler de l’aiguille, dit-elle en jetant un coup d’œil sur les raccommodages qu’elle avait faits aux vêtements du pauvre Pepy ; mais plus tard, peut-être que je saurai mieux. Depuis que mon mariage est convenu avec Prince, et que je me suis mise à travailler avec miss Flite, je sens que mon caractère est meilleur. Ce matin, si je me suis emportée chez vous contre maman, c’est qu’en vous voyant toutes les deux si bien mises et si jolies, je me suis trouvée honteuse de moi-même, et surtout de Pepy ; mais j’espère avoir gagné sous ce rapport et finir par ne plus en vouloir tant à maman. »

La pauvre enfant disait cela dans la simplicité de son cœur, et je me sentis émue.

«  J’éprouve une grande affection pour vous, chère Caroline, répliquai-je, et j’espère que nous deviendrons amies.

— Vraiment ! s’écria-t-elle ; oh ! comme je serai heureuse !

— Soyons-le tout de suite, chère Caroline, et parlons souvent de tout ce qui vous occupe et vous embarrasse, ce sera le meilleur moyen de triompher de toutes les difficultés. »