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— Merci, mon père ; sortez-vous bientôt ?

— Oui, cher enfant ; je crois, répondit M. Turveydrop en fermant les yeux et en haussant les épaules avec modestie, je crois devoir, comme à l’ordinaire, me montrer par la ville.

— Vous feriez bien de dîner quelque part d’une manière confortable, dit Prince.

— J’en ai l’intention, cher enfant ; je prendrai mon léger repas au restaurant français, sous la colonnade de l’Opéra.

— Vous avez raison ; n’y manquez point ; adieu, mon père, dit Prince en lui prenant la main.

— Adieu, mon fils ; Dieu vous garde ! »

Ces paroles, que le vieux gentleman prononça d’une voix pieuse, firent un bien évident au jeune homme, qui se montrait si fier et si enchanté de son glorieux père, que je me reprochais presque, à cause de lui, de ne pas assez partager son admiration pour M. Turveydrop. L’instant qu’il nous donna pour prendre congé de nous, surtout de miss Jellyby, augmenta l’impression favorable qu’il avait faite sur moi ; et je ressentis pour lui un intérêt si réel, que lorsque, malgré son désir de rester plus longtemps auprès de Caroline, je le vis mettre son petit violon dans sa poche et partir de bonne humeur pour aller manger son mouton froid et courir à Kensington, j’éprouvai contre son père une indignation presque aussi vive que celle de la vieille dame.

Le gentleman ouvrit la porte, nous reconduisit en nous faisant un salut digne en tout point de son illustre modèle, et passa de l’autre côté de la rue, toujours avec la même élégance, pour aller se montrer dans la partie la plus aristocratique de la ville au milieu des rares gentlemen qui nous restent encore. Je fus tellement absorbée pendant quelques instants par tout ce que je venais de voir et d’entendre, qu’il m’était impossible d’écouter Caroline. Je me demandais s’il n’existait pas, en dehors des maîtres de danse, d’autres personnes encore, ayant pour seule affaire de déployer leurs grâces, et vivant uniquement de la réputation de leur tournure. Cette pensée qu’il pouvait exister dans le monde une quantité de gentlemen Turveydrop finit par m’obséder, au point que je fus obligée de faire un violent effort sur moi-même pour la chasser de mon esprit et pour renouer la conversation, qui ne s’arrêta plus jusqu’à notre arrivée à Lincoln’s-Inn.

Miss Jellyby me raconta que l’éducation du pauvre Prince avait été si négligée qu’il n’était pas toujours facile de déchiffrer son écriture. « S’il se préoccupait moins de son orthographe, disait-elle, je suis persuadée qu’il réussirait mieux ; il met