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C’était un gentleman vieux et gras, ayant de fausses dents, un faux teint, de faux cheveux et des favoris d’emprunt. Il portait un col de fourrure et avait un habit rembourré sur la poitrine, auquel manquait seulement une étoile ou un large ruban bleu, pour se donner un air aristocratique. Il était aussi pincé, gonflé, sanglé, brossé qu’il est possible de l’être ; sa cravate, où son menton et ses oreilles avaient complétement disparu et qui lui faisait sortir les yeux de la tête, l’étranglait au point que son cou aurait doublé de volume si on l’avait desserrée. Il portait sous le bras un immense chapeau, dont la forme s’évasait comme un tromblon ; il tenait à la main une paire de gants blancs dont il frappait négligemment le susdit chapeau, en s’appuyant sur une jambe, le coude arrondi, l’épaule haute, avec une élégance qui ne saurait être surpassée ; il avait une canne, un lorgnon, une tabatière, des manchettes, des bagues, tout ce qu’on peut imaginer, excepté du naturel ; il n’avait rien d’un jeune homme, encore moins d’un vieillard, et ne ressemblait qu’à lui-même, c’est-à-dire à un modèle de tournure.

«  Mon père, une visite : Mlle Summerson, l’amie de Mlle Jellyby.

— Très-honoré de la présence de Mlle Summerson, répondit le vieux gentleman, dont le blanc des yeux me parut se plisser sous l’effort qu’il fit en se courbant pour me saluer avec grâce.

— Mon père, me dit Prince d’un air à la fois affectueux et convaincu, est une célébrité ; on l’admire extrêmement.

— Allez, Prince, allez ; continuez votre leçon, dit M. Turveydrop en agitant ses gants avec un geste plein de condescendance ; allez, mon fils. »

Et la leçon continua ; Prince jouait de la pochette en dansant, du piano en restant debout, chantait de sa faible voix en prenant la main d’une élève dont il rectifiait les pas ; s’occupant en conscience de celles dont les progrès étaient les moins rapides et ne se reposant jamais, tandis que son admirable père, debout devant la cheminée, déployait toute la grâce de sa tournure.

« Jamais il ne fait autre chose, me dit la vieille dame à l’air caustique ; et, vous ne le croiriez pas, c’est son nom qui est gravé sur la porte.

— C’est en même temps celui de son fils, répondis-je.

— C’est bien heureux qu’il ne puisse pas le lui prendre ; sans quoi, le pauvre garçon ne l’aurait plus depuis longtemps ; regardez l’habit du fils. »

Il montrait la corde, et peu s’en fallait qu’il ne fût déchiré.