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La galanterie de sir Leicester concède à milady tout ce qu’elle demande ; néanmoins il pense que parler de ces saletés dégoûtantes devant les classes supérieures de la société, c’est vraiment… vraiment…

«  Je disais donc, reprend l’avoué avec un flegme imperturbable, que sa mort peut être le résultat d’un suicide comme celui d’un accident, mais que personne n’a pu rien dire à cet égard. Je dois ajouter néanmoins que c’est bien de sa propre main qu’il est mort, même en supposant qu’il l’ait fait sans préméditation. Le jury du coroner a déclaré qu’il s’était empoisonné par accident ; toujours est-il que c’est lui qui s’est empoisonné.

— Et quel genre d’homme était-ce ? demande lady Dedlock.

— Très-difficile à dire, répond l’avoué en secouant la tête ; il était si pauvre et si sale, avec son teint de bohémien, ses longs cheveux noirs et sa barbe en désordre, que je l’aurais pris pour le plus infime de tous les êtres. Le docteur pense au contraire qu’il avait été bien dans sa jeunesse et qu’il a dû occuper dans le monde une certaine position.

— Comment appelait-on ce misérable ?

— Il portait un pseudonyme et personne n’a pu dire son véritable nom.

— Pas même son domestique ?

— Il n’en avait pas. On l’a trouvé, ou plutôt c’est moi qui l’ai trouvé sans vie…

— Et l’on n’en sait pas davantage ? On n’a aucun soupçon qui puisse… ?

— Aucun. Il y avait dans sa chambre, dit l’avoué d’un air pensif, un vieux portemanteau ; mais ne contenant pas un seul papier, une seule lettre. »

Pendant tout le temps qu’a duré ce dialogue, milady et M. Tulkinghorn, dont les manières habituelles n’ont pas subi la plus légère altération, se sont regardés fixement, comme il était sans doute naturel de le faire en parlant d’un sujet aussi étrange. Sir Leicester a constamment tourné les yeux vers la cheminée ; c’est étonnant comme il ressemble au vieux Dedlock dont on voit le portrait dans l’escalier. Dès que l’histoire est achevée, il proteste de nouveau contre l’inconvenance d’un semblable récit, et ajoute qu’il est évident que milady n’a jamais eu aucune association d’idées qui puisse se rattacher à un pareil misérable (à moins que cet homme n’ait, dans son métier d’écrivain, fait quelque lettre pour un mendiant) ; il espère bien ne plus entendre parler d’un sujet aussi étranger à milady, et surtout aussi éloigné de la position qu’elle occupe.