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BLEAK-HOUSE

dans la haute position qu’elle occupe. Sa taille élégante paraît plus élevée qu’elle ne l’est en effet, ce que l’honorable Bob Stables explique en attestant, sous la foi du serment, que cela tient à l’aisance et à la noblesse de ses allures ; et il fait observer en même temps, à propos du soin avec lequel ses cheveux sont arrangés, qu’il n’y a pas dans tout le Stud[1] de femme aussi bien pansée qu’elle.

Munie de ces perfections, milady Dedlock a donc quitté son trou pour venir à Londres, en attendant qu’elle parte pour Paris, et, vers le soir de cette journée de brouillard que nous avons passée à la haute cour, se présente à son hôtel un vieux gentleman, procureur et avoué à la chancellerie, qui a l’honneur d’agir en qualité de conseiller légal des Dedlock, et possède en son étude maintes et maintes boîtes de fonte portant ce noble nom, qui ressort partout chez lui comme la muscade présentée au public par l’escamoteur après chacun de ses tours. Il entre dans le vestibule, monte l’escalier, traverse les salons et les galeries splendides, lieu féerique à visiter, véritable désert pour celui qui l’habite, et, précédé par un Mercure à cheveux poudrés, le vieux gentleman est introduit en présence de milady.

Il est vêtu à l’ancienne mode, et son aspect n’a rien qui puisse flatter le regard ; toutefois, les contrats de mariage et les testaments de sa noble clientèle ont augmenté son épargne, et il passe pour très-riche. Il est environné d’une mystérieuse auréole que forment autour de lui les confidences dont on le sait dépositaire ; et les antiques mausolées gisant depuis des siècles au fond des grands parcs, sous la fougère et les ronces, contiennent moins de nobles secrets qu’il ne s’en promène au grand jour scellés dans la poitrine de M. Tulkinghorn. Il est ce qu’on appelle de la vieille école, expression qui s’applique généralement à ce qui n’a jamais été jeune. Il porte des culottes courtes rattachées à la jarretière avec un nœud de rubans, et suivant la saison, il a des guêtres ou simplement des bas. Le caractère particulier de ses bas et de son habit, toujours noirs, c’est qu’ils ne reluisent jamais, quelle qu’en soit la matière ; de soie ou de laine, tous ses vêtements sont muets comme celui qui les porte, et ne répondent pas même à la lumière qui les frappe. M. Tulkinghorn ne parle jamais, à moins qu’on ne le consulte pour affaire. On le voit souvent, silencieux, mais parfaitement à l’aise, au bas bout de la table, dans les nobles dîners des plus nobles châteaux, ou bien encore près de la porte du salon, où,

  1. Livre d’or de la noblesse chevaline.