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armes à feu. Valets et serviteurs de tout genre circulent dans le village, où ils encombrent l’auberge des Armes de Dedlock ; et, vue la nuit à une certaine distance, la rangée de fenêtres du grand salon apparaît comme un collier de pierres précieuses montées sur émail noir. Le dimanche, la petite église humide et froide est presque réchauffée par cette foule élégante, et la vague odeur que répandent les restes des vieux Dedlock disparaît sous des parfums d’une exquise délicatesse.

Cette réunion brillante renferme en elle-même une somme considérable d’esprit, d’éducation, de courage, de beauté, d’honneur et de vertu ; et cependant elle a quelque chose de faux en dépit de ses immenses avantages : c’est le dandysme. Nous n’avons plus George IV, aujourd’hui, pour imposer la mode aux fashionables, et c’est dommage. Nous avons perdu les essuie-mains empesés qu’on portait en cravates, les habits à taille courte, les faux mollets et les corsets ; nous n’avons plus d’efféminés qui s’évanouissaient à l’opéra par excès de ravissement, et que d’autres efféminés ramenaient à la vie en leur mettant sous les narines des flacons emmanchés d’un long cou ; plus de ces caricatures, de ces incroyables qui avaient besoin de quatre hommes pour entrer dans leur culotte de peau de daim ; qui allaient voir en partie de plaisir toutes les exécutions, mais dont la conscience était troublée pour avoir « consommé un pois[1]. » Mais le dandysme existe encore parmi les fashionables ; dandysme plus dangereux que les essuie-mains en cravates, ou même que les ceintures qui entravaient la digestion ; car celui-là du moins ne pouvait pas se déguiser, et nul être raisonnable ne s’y laissait prendre. Il y a, dans le cercle brillant réuni à Chesney-Wold, quelques ladies et quelques gentlemen, qui, par exemple, ont établi un dandysme religieux, et qui, d’un commun accord, s’entretiennent, d’une certaine façon et à la dernière mode, du manque de foi chez le vulgaire ; qui ne peuvent trop s’étonner qu’un homme ait perdu la foi qu’il avait dans la valeur d’un schelling, après avoir découvert que ce schelling était de la fausse monnaie ; ladies et gentlemen, qui arrêteraient volontiers l’horloge du temps et effaceraient quelques siècles de l’histoire pour que le vulgaire demeurât pittoresque et fidèle aux vieux usages ; ou bien encore des ladies et des gentlemen, d’un autre genre fort élégant aussi, bien qu’un peu moins nouveau, qui sont convenus de passer un vernis sur

  1. Allusion à Brunel, qui craignit un jour d’avoir mangé un pois. (Note du traducteur.)