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ne pas la renvoyer dès qu’elle serait rétablie, et pour prier tout le monde de la laisser par terre et d’aller se coucher.

Le coq de la laiterie voisine entonne son chant matinal sans trop savoir pourquoi.

M. Snagsby, pourtant le plus patient de tous les hommes, respire longuement et ne peut s’empêcher de s’écrier : « Enfin ! je croyais que tu étais mort. » Quel problème cette volaille enthousiaste s’imagine-t-elle résoudre en s’égosillant ainsi ? pourquoi embouche-t-elle la trompette à propos de quelque chose qui ne l’intéresse nullement ? Il est vrai que l’homme agit de même en certaines occasions triomphales. Après tout, cela la regarde ; il nous suffit que le jour paraisse, que le matin vienne et que midi arrive.

Mooney, que les journaux qualifient de bedeau actif et intelligent, se présente alors chez M. Krook avec sa compagnie des pauvres et enlève le corps de notre cher frère, qu’il fait porter dans un cimetière pestilentiel, ignoble, resserré entre des rues étroites, d’où les fièvres malignes se répandent sur nos chers frères et nos chères sœurs qui sont encore de ce monde, pendant que d’autres chers frères et chères sœurs qui hantent les escaliers dérobés des ministères et obsèdent les puissants (plût à Dieu que ceux-là ne fussent plus de ce monde !) font les aimables et les complaisants. Et dans ce petit coin de terre, abomination qui révolterait les Turcs et dont la vue ferait tressaillir un Caffre, ils portent le corps du trépassé pour qu’il y reçoive une sépulture chrétienne.

Les maisons les regardent passer le long du chemin, jusqu’à ce qu’ils arrivent à un tunnel qui conduit à la grille du cimetière infâme où se pressent toutes les iniquités de la vie sur le seuil de la mort ; tous les poisons de la mort au centre de la vie ! c’est là qu’ils déposent notre cher frère à un ou deux pieds de profondeur : là, qu’ils le sèment dans la corruption pour y ressusciter un jour dans la pourriture, et témoigner devant les siècles futurs de la barbarie qui se mêlait à la civilisation dans cette île orgueilleuse[1].

Viens, ô nuit ! viens ! tu n’arriveras jamais assez vite pour voiler cet horrible endroit que tu ne couvriras jamais assez longtemps.

Lumières errantes, apparaissez aux fenêtres de ces maisons hideuses ; et vous, qui, au fond de ces bouges, pratiquez l’infamie, retirez-vous au moins de cette effroyable scène. Flamme

  1. Allusion à la manière infamante dont on enterre à Londres les suicidés, par forme de punition.