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et qui, bien qu’elle ait été mise à la ferme pendant tout le temps de sa croissance par un bienfaiteur de l’humanité qui réside à Tooting, et qu’elle ait dû se développer dans les plus heureuses conditions, a des attaques d’épilepsie dont la paroisse ne saurait être responsable.

Guster a vingt-trois ou vingt-quatre ans ; mais elle paraît en avoir dix de plus, et ne peut gagner que de faibles gages avec l’affreuse maladie dont elle est affligée. Elle a tellement peur d’être renvoyée à la paroisse, qu’à l’exception du moment où on la ramasse la tête dans le seau, dans le poêlon, sur l’évier, dans les casseroles, dans n’importe quel objet près duquel elle se trouve au moment où son accès la saisit, elle travaille sans cesse et ne se repose jamais. Elle fait la satisfaction des parents et des tuteurs des apprentis, qui n’éprouvent nulle crainte de lui voir inspirer de tendres sentiments à leurs fils ou à leurs pupilles ; la satisfaction de Mme Snagsby, qui ne la prend jamais en faute, et celle de M. Snagsby, qui se figure lui faire une charité en la gardant chez lui. Aux yeux de Guster, l’établissement du papetier du palais passe pour le temple de la splendeur et de l’abondance ; le petit salon du premier, toujours tiré à quatre épingles, lui paraît être la pièce la plus élégante de toute la chrétienté ; la vue qu’on a de la fenêtre qui donne sur Cook’s-Court lui semble une perspective d’une beauté sans pareille, et les deux portraits à l’huile de M. et Mme Snagsby, placés de chaque côté de la porte, pour faire pendants, sont pour elle des chefs-d’œuvre d’une valeur égale à ceux de Raphaël et du Titien. La position de Guster a, comme on voit, ses dédommagements.

M. Snagsby s’en réfère à sa femme de tout ce qui est en dehors des détails pratiques de son commerce mystérieux ; c’est elle qui dispose de la bourse, se dispute avec le percepteur, règle les dévotions du dimanche, les plaisirs de M. Snagsby, et le menu du dîner, sans reconnaître à personne le droit de discuter ses actes. Aussi mistress Snagsby sert-elle de point de comparaison à toutes les femmes de Chancery-Lane, voire d’Holborn, qui, dans toutes leurs querelles de ménage, appellent l’attention de leurs maris sur la différence qui existe entre la position de mistress Snagsby et la leur, entre la conduite de l’excellent papetier et celle qu’on tient à leur égard. On dit tout bas dans Cook’s-Court, où les cancans voltigent dans l’ombre, et, semblables aux chauves-souris, vont se heurter aux fenêtres de tous ceux qui l’habitent, on dit que mistress Snagsby est curieuse et jalouse, et qu’elle tourmente son mari au point de le