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savoir par ses observations personnelles… si jamais, disons-nous, Peffer revient visiter le sombre quartier qu’il habita jadis, il y revient incognito et, par conséquent, cela ne fait ni chaud ni froid.

À l’époque où il tenait boutique et pendant que Snagsby faisait son apprentissage, qui dura sept années, vivait chez lui, dans la maison où se trouvait le magasin, une de ses nièces petite et rusée ; trop étroite de corsage, au regard froid comme un vent de bise, au nez pointu et tendre à la gelée. Le bruit courait dans Cook’s-Court que la mère de cette nièce, poussée par une trop vive sollicitude pour la taille de sa fille, ne laçait jamais l’intéressante enfant sans mettre le pied contre le mur, afin d’avoir plus de puissance pour la serrer, la malheureuse ! qu’elle lui donnait en outre force vinaigre et jus de citron à boire, dont l’acide avait fini par monter au nez et au caractère de la pauvre victime. Fondée ou non, cette rumeur n’arriva pas à l’oreille de Snagsby, ou du moins n’eut aucune influence sur les sentiments de ce jeune homme, qui, ayant fait la cour à la nièce et réussi à lui plaire, prit avec la boutique deux associés au lieu d’un. Ainsi donc, Snagsby et la nièce de Peffer ne font plus qu’un seul être ; et l’intéressante créature soigne toujours sa jolie taille, d’autant plus précieuse qu’elle n’en a pas plus gros que rien.

Non-seulement M. et Mme Snagsby ne font qu’une seule et même chair, mais encore une seule et même voix, à ce que disent les voisins ; et cette voix, qui semble provenir exclusivement de mistress Snagsby, retentit fréquemment dans Cook’s-Court ; quant au mari de la nièce, il est fort rare qu’il s’exprime autrement que par l’organe de sa femme. Il est doux, timide et chauve, et porte seulement à l’arrière de sa tête luisante un maigre bouquet de cheveux noirs. Modeste et légèrement obèse, quand, vêtu de sa houppelande grise et de ses manches de lustrine, il regarde les nuages sur le pas de sa porte, ou qu’assis à son pupitre et dans l’ombre, il coupe du parchemin en compagnie de ses deux apprentis, il a tout à fait l’air d’un brave homme sans prétention. Mais, par exemple, il n’est pas rare que des plaintes et des lamentations s’élèvent d’une espèce de cave située sous les pieds de M. Snagsby ; et quand elles deviennent plus aiguës qu’à l’ordinaire, le papetier dit à ses apprentis : « Je pense que ma petite femme donne une bourrade à Guster. »

La bourrade en effet est tout ce que reçoit, avec un gage de cinquante schellings par an, une jeune fille pâle et maigre, baptisée sous le nom d’Augusta, élevée dans un dépôt de mendicité,