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l’ignoble coquin jusqu’à le laisser pour mort. Notre entêté persiste, et la barrière est élevée dans la nuit. J’en fais le lendemain matin des copeaux et je les brûle, notre baronnet s’irrite, envoie ses mirmidons franchir mes palissades, traverser mon jardin ; je leur tends des pièges, leur fais éclater des fusées dans les jambes, et leur tire des coups de fusil, bien résolu de délivrer le genre humain de l’insupportable engeance de ces bandits nocturnes. Il porte plainte contre moi, j’en fais autant contre lui ; il m’attaque en sévices et voies de fait ; je plaide mon droit de légitime défense et continue ce qu’il appelle mes sévices et voies de fait. Ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! »

À l’entendre s’exprimer avec cette incroyable énergie, on l’aurait supposé le plus violent de tous les hommes ; à le voir en même temps regarder son oiseau qui était perché sur son pouce, et dont il satinait délicatement les plumes, on l’aurait pris pour l’être le plus doux, le plus inoffensif ; et chacun eût pensé, en regardant son visage ou en l’écoutant rire, qu’il n’avait pas de souci, qu’il ignorait toute dispute, et que sa vie tout entière s’écoulait comme un beau jour d’été.

«  Non, non, ajouta-t-il ; aucun Dedlock ne m’interdira le passage ; bien que je reconnaisse volontiers, dit-il en changeant de ton immédiatement, que milady Dedlock est la femme la plus accomplie qu’il soit possible de voir, et à laquelle un vrai gentleman puisse jamais rendre hommage ; mais ce n’est pas un baronnet de sept cents ans d’épaisseur qui clora mon sentier. Un homme qui est entré au régiment à vingt ans, et qui, au bout de huit jours, avait défié le plus sot, le plus présomptueux, le plus impérieux de tous les officiers dont jamais l’uniforme ait étranglé la taille, et qui est sorti vainqueur de ce défi audacieux, ne se laissera pas arrêter par tous les sirs Lucifers morts ou vifs, avec ou sans barrières.

— Pas plus qu’il n’a souffert qu’on opprimât son jeune ami sans défense, ajouta mon tuteur.

— Assurément, reprit M. Boythorn en frappant sur l’épaule de M. Jarndyce avec un air de protection où quelque chose de sérieux se mêlait au sourire. Cet homme est toujours là, prêt à défendre son petit camarade. Jarndyce, tu peux compter sur lui. Quant à la sotte affaire dont je parlais tout à l’heure, que miss Clare et miss Summerson veuillent bien me pardonner d’avoir développé si longuement un sujet si aride. Il n’est rien arrivé à mon adresse de la part de Kenge et Carboy ?

— Je ne le pense pas, Esther ? me dit M. Jarndyce.

— Non, tuteur, répondis-je.