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femme avait un petit-fils qui était marin ; j’avais écrit pour elle à ce petit-fils, et j’avais dessiné en tête de la lettre le coin de la cheminée où elle l’avait élevé et où le tabouret du marmot occupait toujours son ancienne place. Tout le village regarda mon dessin comme le plus merveilleux des chefs-d’œuvre ; mais lorsque, dans la réponse qu’il envoya de Plymouth, le petit-fils annonça qu’il emporterait son tableau jusqu’en Amérique, d’où il écrirait de nouveau, j’eus tout le bénéfice des éloges que l’on aurait dû réserver pour l’exactitude du service des dépêches, et tous les mérites de la poste s’effacèrent devant le mien.

C’est ainsi que presque toujours dehors, jouant avec les enfants, bavardant avec les uns et les autres, donnant des leçons à Charley, écrivant chaque matin à Éva, j’avais à peine le temps de songer à ce que j’avais perdu ; un jour, cependant, je m’y trouvai plus sensible que je ne l’aurais pensé. Un enfant demandait à sa mère : « Pourquoi miss Summerson n’était plus une jolie dame comme elle l’était autrefois ? » et cette question m’attrista ; mais quand le pauvre petit, passant d’un air de tendre pitié sa main sur mon visage, m’eut témoigné plus d’affection que jamais, je me sentis consolée. Et que de fois j’eus l’occasion de voir combien il y a de délicatesse et de générosité dans les bons cœurs pour les disgrâces ou les infériorités des autres ; jamais peut-être je n’en fus plus frappée qu’un matin où je me trouvais à l’église au moment d’un mariage ; la cérémonie terminée, on présenta le registre aux jeunes gens pour qu’ils eussent à signer ; le marié prit la plume et fit une croix, la mariée vint après et signa de la même façon ; pourtant je l’avais connue l’année précédente, et je savais que non-seulement elle était la plus jolie fille du village, mais encore la plus instruite de l’école, et je ne pus m’empêcher de la regarder avec surprise ; mais elle s’approcha de moi, et les yeux humides : « C’est un si bon garçon ! murmura-t-elle à mon oreille ; je lui apprends à écrire ; il ne sait pas encore… et pour rien au monde je ne voudrais le faire rougir. » Qu’avais-je à redouter pour moi, quand je rencontrais tant de noblesse de sentiments chez la fille d’un ouvrier.

L’air pur qui soufflait autour de nous m’avait rendu des forces, et mon teint reprenait les couleurs qu’il avait eues jadis. Quant à Charley, c’était merveille de la voir si radieuse et si fraîche ; nous nous promenions du matin jusqu’au soir, et nous dormions profondément la nuit. Il y avait dans le parc de Chesney-Wold un banc d’où la vue était magnifique ; j’aimais à m’y reposer, et j’y allais tous les jours ; de ce point élevé on apercevait