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Je ne le regarde jamais sans entendre encore notre pauvre Richard s’extasier trop tard sur sa bonté. Il est pour Éva et pour son fils le plus tendre des pères, et pour moi ce qu’il a toujours été ; quel nom donner à cela ? Il est à la fois le meilleur ami de mon mari, le favori des enfants, l’objet de notre amour et de notre vénération la plus profonde. Et cependant, tout en le considérant comme un être supérieur, je suis tellement familière, tellement à l’aise avec lui, que j’en suis presque surprise. Je n’ai perdu aucun de mes anciens noms : dame Durden, petite mère, petite femme, et je réponds : « Oui, tuteur, » absolument comme autrefois.

Je n’ai plus entendu parler du vent d’est, depuis le moment où il m’amena devant la façade de notre maison pour me faire lire le nom qui s’y trouvait gravé. Je lui en ai fait la remarque, et il m’a répondu qu’en effet le vent d’est avait depuis lors disparu complétement.

Éva est plus belle que jamais ; la douleur que son visage exprima pendant longtemps, mais qui aujourd’hui est effacée, a donné à sa physionomie, déjà si pure, un caractère plus élevé, plus divin pour ainsi dire. Quand mon regard la rencontre et que je la vois si belle dans ses habits de deuil qu’elle conserve toujours, et donnant une leçon à mon petit Richard, j’éprouve un plaisir indéfinissable à penser que peut-être elle n’oublie pas sa chère Esther dans ses prières.

Si j’appelle son enfant mon petit Richard, c’est qu’il dit qu’il a deux mamans, et j’en suis une.

Nous ne touchons pas de gros intérêts à la banque ; mais nous vivons à notre aise, et nous n’en demandons pas davantage. Je ne sors pas avec mon mari sans l’entendre bénir ; je ne vais pas dans une maison, riche ou pauvre, sans qu’on me fasse son éloge, ou qu’on le regarde avec des yeux reconnaissants. Je ne me couche pas un seul jour, sans savoir qu’il a soulagé quelque douleur et secouru des malheureux. Je sais qu’à leurs derniers moments, ceux qu’il n’a pu guérir l’ont souvent remercié de sa bonté patiente et de ses soins généreux.

N’est-ce pas là être riches ?

Ils vont même jusqu’à m’estimer infiniment en ma qualité de femme du docteur ; ils me témoignent tant d’affection et me placent si haut dans leur considération, que j’en suis toute confuse. C’est à lui, mon orgueil et mon bonheur, à lui que je dois tout cela. Ils m’aiment à cause de lui, comme de mon côté je fais tout pour l’amour de lui.

Il y a deux ou trois jours, après avoir fait mes petits prépa-