Page:Dickens - Bleak-House, tome 2.djvu/269

Cette page a été validée par deux contributeurs.

leur fumée et leurs éclairs ; les préparatifs sont commencés, les mesures sont prises, les jalons sont posés, les piles des ponts et des viaducs se regardent tristement comme des couples infortunés dont quelque obstacle retarde encore l’union ; des chariots et des brouettes précipitent leurs torrents de pierres dans les vallées qu’on exhausse ; des pieux s’élèvent à l’endroit où la rumeur publique annonce un tunnel ; tout est bouleversé, fendu, comblé, fouillé, c’est l’image du chaos ; mais la chaise roule par cette nuit glacée, sans se préoccuper du chemin de fer.

Mistress Rouncewell, la digne gouvernante de Chesney-Wold, est dans la voiture, ayant à ses côtés mistress Bagnet avec son parapluie et son manteau. La vieille aurait préféré le siége comme plus exposé à l’air et plus conforme à son mode habituel de voyager ; mais sa compagne est trop attentive à son bien-être pour souffrir pareille chose. Mistress Rouncewell ne peut pas assez témoigner sa gratitude à la femme de Lignum dont elle porte la main rugueuse à ses lèvres, sans s’apercevoir que la peau en est moins douce que le satin.

« Il fallait une bonne mère comme vous, chère âme, lui dit-elle, pour trouver la mère de mon Georges.

— Voyez-vous, madame, répond mistress Bagnet, il a toujours été plus libre avec moi qu’avec les autres. Et quand, un soir, il a dit à mon Woolwich que, de toutes les pensées qui lui resteraient un jour, la plus consolante serait de n’avoir pas mis une ride au front de sa mère, j’ai senti, à n’en pas douter, qu’il vous avait vue le matin, ou qu’il avait eu de vos nouvelles. Je lui avais entendu dire si souvent qu’autrefois il s’était mal conduit envers vous.

— Oh ! jamais, ma chère, jamais, s’écrie mistress Rouncewell en fondant en larmes ; je n’ai pas été une heure sans le bénir ; il a toujours eu tant d’affection pour moi ; il est si bon, mon Georges ! mais il avait l’esprit ardent, aventureux, et s’est engagé comme soldat ; s’il ne nous a pas écrit, c’est parce qu’il attendait qu’il fût monté en grade ; je le sais, madame, je le sais ; puis, voyant qu’il n’arrivait pas à l’épaulette, il s’est cru déshonoré et n’a pas voulu nous faire honte ; car il a toujours eu un cœur de lion, même quand il était tout petit. »

Et les mains de la vieille dame tremblent d’émotion quand elle dit combien son Georges était aimable, gai et spirituel ; que tout le monde à Chesney-Wold l’avait pris en amitié ; qu’il était le favori de sir Leicester ; que les chiens lui faisaient mille caresses ; que tous ceux qui croyaient lui en vouloir lui pardonnèrent dès qu’il avait été parti, « Pauvre Georges ! dire qu’il est