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dépassait pas la ceinture. Caddy joignait à ce qu’elle avait appris une grâce charmante qui lui était personnelle, et qui formait avec son joli visage un ensemble des plus séduisants. Prince jouait du violon, et la petite fille en robe de gaze, faisant des mines à ces malheureux petits qui ne la regardaient même pas, était vraiment à peindre.

Au bout d’une heure, Prince courut bien vite à une pension où on l’attendait. Caroline alla mettre son chapeau et son châle pour venir avec moi. Quant aux apprentis, deux des externes, après avoir été sur le carré changer de chaussures et tirer les cheveux de leur camarade, du moins à en juger par les récriminations de la victime, revinrent dans la salle où j’étais, leurs souliers boutonnés dans leur habit, exhibèrent un morceau de pain et une tranche de viande froide, et s’installèrent sous une des lyres qui décoraient la muraille ; la petite fille, habillée de gaze, fourra ses chaussons de prunelle dans son sac et mit une paire de gros souliers éculés. « Aimez-vous la danse ? lui demandai-je

— Pas avec les garçons, » répondit-elle en sortant de la salle avec un air de dégoût et de mépris.

« M. Turveydrop est désolé, me dit Caroline, mais il n’a pas fini sa toilette et ne pourra pas vous présenter ses hommages ; il le regrette bien vivement, car il a pour vous une telle admiration ! »

Je répondis que j’étais très-reconnaissante de la bonne opinion qu’il avait de moi, et je crus inutile d’ajouter que je me dispenserais fort bien de le voir.

« Sa toilette exige de grands soins et lui demande beaucoup de temps, poursuivit Caroline ; vous savez combien il est remarqué ; il a une réputation à soutenir. Vous n’imaginez pas comme il est bon pour mon père ! il lui parle du prince régent pendant des heures entières, et je n’avais jamais vu papa aussi vivement intéressé. »

L’idée de M. Turveydrop déployant toutes les grâces de sa tournure pour M. Jellyby m’amusait énormément.

« Est-ce qu’il parvient à faire causer votre père ? demandai-je à Caroline.

— Oh ! non, dit-elle ; c’est lui qui parle et papa l’écoute avec un plaisir dont vous n’avez pas d’idée. Ils s’entendent à merveille, c’est au point que mon père, qui n’avait jamais pu souffrir le tabac, prend régulièrement une prise dans la tabatière de M. Turveydrop et la respire pendant toute la soirée. »

N’était-ce pas la chose la plus bizarre du monde, que le dernier des gentlemen eût traversé toutes les vicissitudes de la vie