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Contes d’un buveur de bière

mois il n’y avait point eu dans le monde entier un seul cas de mort. Tous les malades avaient guéri sans que les médecins sussent comment ni pourquoi : ce qui ne les avait point empêchés de se faire honneur de toutes les cures.

Cette année s’écoula comme la précédente, sans décès, &, quand vint la Saint-Sylveſtre, d’un bout de la terre à l’autre les hommes s’embrassèrent & se félicitèrent d’être devenus immortels.

On fit des réjouissances publiques, & il y eut en Flandre une fête comme on n’en avait point vu depuis que le monde eſt monde.

Les bons Flamands n’ayant plus peur de mourir d’indigeſtion, ni de goutte, ni d’apoplexie, burent & mangèrent tout leur saoul. On calcula qu’en trois jours chaque homme avait mangé une boisselée de grain, sans compter la viande & les légumes, & bu un brassin de bière, sans compter le genièvre & le brandevin.

J’avoue pour ma part que j’ai peine à le croire, mais toujours eſt-il que jamais le monde ne fut si heureux, & personne ne soupçonnait Misère d’être la cause de cette félicité universelle : Misère ne s’en vantait point, par modeſtie.

Tout alla bien durant dix, vingt, trente ans ; mais, au bout de trente ans, il ne fut point rare de voir des vieillards de cent dix & cent vingt ans, ce qui eſt d’ordinaire l’âge de la dernière décrépi-