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Contes d’un buveur de bière

— Tu crois ?

— Parbleu !… C’eſt ta faute, aussi ! Pourquoi as-tu la mauvaise habitude de manger les moutards ? Sans ce malheureux défaut, il y a longtemps que je t’aurais fait une proposition.

— Laquelle ?

— Voici, fieu. Ma bonne ville de Cambrai eſt en pleine prospérité & peut se passer de mes services. J’ai donné aux Camberlots la bière & le carillon : rien ne manque à leur félicité, & c’eſt pourquoi j’ai envie d’aller planter mes choux à Fresnes, mon pays natal. Pour lors, il me faudrait ici un brave homme qui pût me remplacer en qualité de bourgmeſtre. »

L’ogre avait toujours rêvé les honneurs. Il vit tout de suite où voulait en venir son compère, & fut si flatté dans son amour-propre qu’il en oublia complètement les fugitifs.

« Et tu as songé à moi ? dit-il.

— Oui, mais le diable, c’eſt ta passion pour la chair fraîche ; on n’osera plus se marier, & cela nuira à la population.

— Qu’à cela ne tienne, fieu. Je m’engagerai, s’il le faut, à respecter la marmaille.

— Ta parole ?

— J’en crache mon filet ! s’écria l’ogre en se pinçant sous le menton, ce qui eſt, pour les gens de chez nous, le serment le plus solennel.