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Cambrinus, Roi de la Bière

deviendrai un grand artiſte, se dit-il, & peut-être Flandrine voudra-t-elle de moi. Un bon musicien vaut bien un gentilhomme verrier. »

Il alla trouver un vieux chanoine de la collégiale de Condé, nommé Josquin, qui avait un génie merveilleux pour la musique. Il lui conta ses peines & le pria de lui enseigner son art. Josquin eut pitié de son chagrin & lui montra à jouer de la viole selon les règles.

Cambrinus fut bientôt en état de faire danser les jeunes filles sur le pré. Il était dix fois plus habile que les autres ménétriers ; mais, hélas ! nul n’eſt prophète en son pays.

Les gens de Fresnes ne voulaient point croire qu’un garçon verrier fût devenu en si peu de temps bon musicien, & c’eſt sous un feu roulant de quolibets que, par un beau dimanche, armé de sa viole, il monta sur son eſtrade, je veux dire son tonneau.

Bien que fort ému, il donna d’une main sûre les premiers coups d’archet. Peu à peu il s’anima & conduisit la danse avec une vigueur & un entrain qui firent taire les rieurs. Tout allait à merveille quand Flandrine parut.

À sa vue, l’infortuné perdit la tête, joua à contre-temps & battit si bien la campagne que les danseurs, croyant qu’il se moquait d’eux, le tirèrent à bas de son tonneau, lui brisèrent sa