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extrême à nous entendre raconter les épisodes de notre vie d’étudiant. Le plus souvent, le soir, elle venait s’asseoir près de nous pour nous écouter en silence. Elle préférait de beaucoup ces entretiens évocateurs à la danse qu’elle ne se permettait que par simple complaisance pour un ami. Quand elle entendait son grand-papa raconter ses vieilles histoires, ses grands yeux bleus souriaient autant que sa fine bouche.

Après nos marches ou nos causeries de la soirée, je m’enfermais dans ma chambre pendant quelques heures et je couchais sur le papier, pendant que je les avais encore frais à la mémoire, tous les souvenirs que mon bon ami Elphège nous avait racontés quelquefois avec beaucoup de verve, quelquefois les larmes aux yeux. Quand nous sommes revenus au Canada, j’eus le bonheur d’être l’hôte de mon ami pendant quelques jours à Montréal. Le soir, nous nous réunissions dans son bureau et là près de son pupitre au-dessus duquel il avait accroché les multiples photographies prises à différents âges de l’épouse qu’il ne cessait de pleurer, nous relisions les notes que j’avais prises à Old Orchard ; nous les commentions, nous y ajoutions d’autres souvenirs et parfois mon ami me suppliait d’en retrancher certains épisodes qui ne cadraient pas avec son chagrin. Je lui obéis et avant de partir, je lui laissai toutes mes notes réunies en un faisceau le priant de les rédiger comme il l’entendrait. Quelques jours plus tard, je recevais le récit qu’il me demanda de présenter tel quel aux lecteurs. Je n’y ai rien retranché ; je n’y ai rien ajouté. J’ai voulu respecter le désir de mon ami si affligé.