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prêmes de l’état sont bien constituées. Avec ces sauvegardes, on peut sans inconvénient lui laisser beaucoup de latitude pour arrêter. En tout fidèle à mes principes, je l’aime mieux un peu incommode, que paralysée ; car la seconde base de la morale est certainement de rendre aussi difficile qu’il est possible le succès de la friponnerie.

Chap. III. Des occasions de nuire à autrui.

Si nul crime ne pouvait rester impuni, et nulle friponnerie ne pouvait réussir, on a peine à concevoir ce qui resterait à faire pour porter les hommes au bien, et opérer le bonheur d’une société. Mais malheureusement toute action blâmable n’est pas saisissable par la loi, et parmi celles-mêmes qu’elle peut condamner expressément, un grand nombre échappera toujours à sa juste vengeance. Les lois de la société sont l’ouvrage des hommes. Elles ne peuvent manquer de se ressentir de la faiblesse et de l’imperfection de leurs auteurs. Elles ne peuvent avoir, comme celles de la nature, cette certitude et cette continuité d’action, cette plénitude de puissance qui fait que nous ne pouvons jamais échapper à leur empire, et qu’elles nous atteignent dans les moindres détails de notre existence. Jamais l’effet des lois humaines ne saurait être aussi certain, aussi complet que celui des lois de la mécanique ; car celles-ci sont l’expression de la nécessité elle-même, et les premières ne sont que des conventions.

Cette observation n’a échappé à aucun de ceux qui ont médité sur le bonheur de leurs semblables. Vivement frappés de l’insuffisance des moyens de