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cela est bien absurde. Quelle vie factice et antihygiénique nous menons-là, sous la domination des routines…

— Bravo ! Bravo ! Monsieur Louvrier ! Mais voilà que nous allons être d’accord et cesser nos interminables querelles ! Bravo ! À bas les traditions, les conventions, le servage des idées toutes faites et des usages consacrés. Ce n’est pas seulement l’hygiène de notre vie matérielle sédentaire qu’il faut bouleverser, mais aussi l’hygiène de notre vie intellectuelle et morale. Ce n’est pas seulement notre façon d’écouter qui est absurde, manque de confort et de naturel, mais notre façon de raisonner et de décider.

— Oh ! oh ! comme vous y allez !

— Soit, j’exagère. J’outre ma pensée. Son énergie est trop accentuée. Je vous le concède. Mais je me sens aujourd’hui si porté à tout simplifier ; l’affirmation me paraît si normale que je ne puis voir dans cette exubérance qu’un effet de la saison nouvelle, qu’une pénétration des forces qui s’agitent et s’épanouissent. Pardonnez à ma bonne folie. Les heures de plénitude sont si rares. Là-bas, dans la cité, parmi les fronts tristes et les regards anxieux, je poursuis ma tâche quotidienne, inquiet et ne sachant jamais si je fais bien. Ici, dans l’air lumineux, devant ces horizons calmes, je n’ai plus de doutes, je suis sûr, je sais. Notre justice pénale est une aberration. Tenez, regardez-moi ce paysage : est-il conciliable avec la prétention que nous avons de châtier les autres hommes ?

Ils étaient arrivés au sommet du coteau ; en se retournant, ils eurent la révélation soudaine de l’étendue et de la beauté du vaste horizon. La route grise dévalait entre la double haie verte des grands arbres jusqu’à la station où