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— Mais, Frédéric, si l’on atténue la rigueur des peines, les crimes vont augmenter d’une manière effroyable ; les bons citoyens ne seront plus en sûreté…

— On m’a assuré, Monsieur le Président, que des magistrats comme vous avaient tenu le même langage lorsqu’on a supprimé la torture, lorsqu’on a aboli la peine de mort, chaque fois que le progrès des mœurs a humanisé la justice. Ces prédictions ne se sont point vérifiées, heureusement,

— Mais, interrompit le président, vexé, si vous pensez vraiment tout cela, Marcinel, comment se fait-il que vous collaboriez avec le zèle, l’intelligence, l’exactitude que l’on vous connaît, à cette justice répressive ?

— Aussi je m’en vais, Monsieur le Président. Et vous connaissez maintenant le motif de mon prochain départ. On lui attribuera sans doute des mobiles auxquels je n’ai point songé. Mais la vraie raison, c’est que j’étouffe dans votre Palais de Justice. J’y ai été longtemps heureux, j’y suis à présent mal à l’aise. La manière dont je voyais les choses a changé, une clarté s’est faite au dedans de mon âme. Je me sens maintenant associé à une œuvre, sinon mauvaise, tout au moins douteuse. Tout ce que je vois, tout ce qui m’entoure, me surprend et m’afflige. J’étais ce matin à votre audience et tandis que je veillais au maintien de l’ordre dans la salle, j’écoutais. Je vous ai ainsi entendu condamner à trois mois de prison un homme qui, rencontrant une malheureuse, indignement abandonnée par un mari ivrogne, avec trois petits enfants, s’y était intéressé et avait fini par assumer courageusement vis-à-vis de la femme et des petits, les charges auxquelles l’autre s’était dérobé…