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cours des événements judiciaires eut permis au magistrat d’apprécier les précieuses qualités du gendarme, cette bienveillance se nuança d’estime et devint insensiblement une très réelle amitié. Marcinel prit ainsi, peu à peu, une situation privilégiée. À la caserne, ses chefs, d’abord à la demande formelle du parquet ou du juge d’instruction, puis ensuite sans recommandation spéciale, lui confiaient toutes les missions délicates, lui réservaient tout ce qui était de nature à le rapprocher des magistrats. Ainsi mêlé constamment à la vie du Palais, Frédéric Marcinel en devint une des figures familières et, semblait-il, indispensables au fonctionnement normal des choses ; il était redouté des jeunes avocats, donnait, avec déférence, des conseils aux jeunes substituts embarrassés et chacun savait que la haute protection du président Louvrier lui était assurée. À la fin des audiences, on les voyait s’en aller côte à côte, commentant les incidents de la journée.

Autant le gendarme était exceptionnel, autant le juge était banal. Le président Louvrier était un de ces exemplaires trop répandus du magistrat chez lequel l’habitude de sa fonction a étouffé peu à peu l’humanité normale. Il était assurément d’intentions droites, mais son esprit était borné et paralysé par une série d’idées toutes faites dont il ne pensait pas même à vérifier l’exactitude. Il avait assurément, dans les choses de la vie ordinaire, bon cœur ; mais il aurait cru manquer au mandat que lui avait confié le Pouvoir, en se permettant, dans les choses de la vie judiciaire, le moindre attendrissement.

Il s’appliquait à suivre religieusement la loi, et lorsque, d’un ensemble complexe de faits, il avait pu dégager une