Page:Dessaulles - Six lectures sur l'annexion du Canada aux États-Unis, 1851.djvu/67

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

En théorie le peuple n’a aucun droits définis : si la couronne lui a fait des concessions, c’est parce qu’elle l’a bien voulu. En pratique, le peuple a des droits très réels, très étendus : il prend ce qu’il veut et quand il le veut. Enfin, en théorie le peuple n’est rien, en pratique il est tout, ou plutôt il serait tout sans l’aristocratie qui l’achète, quand elle ne peut plus le bâillonner.

Or Messieurs, rien n’est bizarre, à mon avis, comme ce pouvoir d’apparat qui est tout dans les phrases, rien dans les faits ; comme ce pouvoir de convention auquel on addresse tous les hommages à la condition qu’il sera un zéro dans l’ordre pratique : rien n’est singulier comme cette profonde vénération d’un grand peuple pour une idole qu’il a lui-même couverte de clinquant : rien n’est anomal comme un roi qui règne et ne gouverne pas, car c’est tout-à la fois être roi et ne pas l’être.

Tout cela n’empêche pas néanmoins que les Anglais en général ne soient prodigues de protestations de loyauté envers la personne de celui qu’ils appellent « le souverain » et qui n’est strictement que leur premier fonctionnaire ! Voilà en quoi je les trouve beaucoup moins logiques que les Turcs et les Chinois ; car partout ou le peuple est souverain, aucun homme ne peut lui demander ce qu’on appelle de la loyauté, puisque l’employé ne peut pas être plus que le maître, le délégué plus que celui dont il tient ses pouvoirs.

Remarquez, Messieurs, que je n’entends nullement soutenir que le chef ou le premier magistrat d’une nation n’ait aucun droit au respect ou même à l’attachement et à la vénération du peuple qu’il préside, loin de là ; en lui, doit se résumer le respect auquel toute la communauté peut prétendre comme corps social : s’il est bon, il a des droits à l’attachement des individus : s’il est sage et juste il a des droits à leur vénération. Mais ce que je ne puis admettre, c’est l’obligation d’être dévoué, d’être fidèle à une individualité quelconque ; à un homme qui n’est rien par lui-même, à part le mérite personnel, s’il en a, et qui ne doit la haute position qu’il occupe qu’au choix direct ou tacite de la nation qui, demain, peut en choisir un autre.

Ainsi, il est évident que dire en Canada : « Nous sommes sujets de Sa Majesté, » c’est exprimer une fiction, et même