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s’enfuit toute brune et rejoint la forêt toute bleue. À travers la fine vapeur qui s’élève de la terre humide et chaude, les chaumières se profilent tremblotantes : l’on dirait que le sol soupire d’amour en exhalant vers le ciel des colonnes d’encens.

En revenant de la grand’messe, mon amie et moi étions silencieuses, pénétrées doucement de la joie que l’on respirait, que l’on sentait monter et descendre en parfums vagues et en bruits très doux : le clapotis de l’eau, les trilles des oiseaux, les derniers sons de l’angelus qui mouraient dans l’espace. — C’est bon de vivre ! — fîmes-nous ensemble… et un éclat de rire souligna cet accord parfait de nos voix et de nos pensées. À ce moment nous entrions dans la petite avenue qui conduit à la maison, et nous aperçûmes le vieux Luc assis sur un tronc d’arbre : il fumait sa pipe d’un air si malheureux que mon amie s’arrêta pour lui demander ce qui le tourmentait. Luc est son domestique depuis plusieurs années. C’est un bonhomme taciturne, doux et entêté.

— Moë, j’ai… rien, madame !

— Ô Luc, dites-vous la vérité ? Un beau jour de Pâques comme aujourd’hui, il ne faut pas avoir de la tristesse ! — Bédame, la tristesse, vous savez, on l’appelle pas, mais à vient sans invite ! — Puisque vous admettez que vous avez du chagrin, mon bon Luc, vous allez me dire pourquoi, et cela vous