Page:Desrosiers - Les Opiniâtres, 1941.djvu/97

Cette page a été validée par deux contributeurs.
95
les opiniâtres

et nous chasser. Ce programme, leur grand conseil l’a mis au point cet hiver.

— On ne s’entendra pas alors ? demanda Pierre.

— On ne s’entendra pas.

— Mais nous les tenons bloqués.

— Ah ! non. Nous surveillons la façade. Mais l’arrière ?

Marguerie et Godefroy taisaient leur acte d’héroïsme. Le premier avait accepté de transmettre aux Français la proposition iroquoise et de se constituer prisonnier de nouveau s’il échouait. Sans quoi, toujours captif, Godefroy subirait la torture. Marguerie était venu. Après entente préalable avec son compagnon, il avait dit au Gouverneur : « Ne leur donnez d’arquebuses à aucun prix, même si le refus entraînait pour nous le supplice ». Puis il avait embrassé ses amis ; les assistants avaient dû détacher de lui sa sœur Marie qui criait et pleurait. Solitaire, il avait traversé le fleuve sous les yeux de la garnison. Cette dure partie, aux risques horribles, il l’avait gagnée, mais il s’en était fallu de peu. Les yeux habitués à l’ombre, Pierre l’observait maintenant : une figure ardente et volontaire d’aventurier dur à soi-même. Durant son long apprentissage d’interprète, il s’était façonné un corps et une âme d’athlète, en souffrant du froid, de la faim et des intempéries des saisons. Après cet entraînement, il pouvait envisager n’importe quel péril.

Enfin la petite flottille s’endormit sous la surveillance des sentinelles. Pierre pensait aux événements écoulés depuis le début de juin : apparition de la flotte iroquoise, épouvante des alliés sauvages, sa propre arrivée en compagnie d’Ysabau ; mission de Marguerie ; troupes expédiées de Québec ; libération solennelle de Marguerie et de Godefroy ; longues tractations poursuivies dans une défiance de plus en plus forte ; trois cent cinquante guerriers massés ici, en face du fort,