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les opiniâtres

brillaient, immobiles sur le courant ; des brasiers sur la grève enfonçaient dans l’ombre des cônes de lumière et leurs reflets dans l’eau s’étiraient ou se plissaient aux jeux de la vague comme des accordéons de flamme. Et sur l’assise des futaies reposait une clarté lunaire dont l’intensité pâlissait les étoiles.

Des cris, des coups de haches, des chutes d’arbres animèrent la forêt dans les alentours du fortin qui prenaient l’apparence de quelque gueule de souterrain ténébreux. Puis se rétablit le silence torride, attentif avec le guet des sentinelles sur les embarcations, blocs géométriques taillés, semblait-il, dans le jais le plus pur. À l’avant de la barque s’étaient assemblés Thomas Godefroy, Marguerie, Hertel, Pierre de Rencontre, Jean Nicolet.

De sa voix ardente et basse, Marguerie parlait :

— Les Iroquois ont très bien compris une chose simple : l’importance des armes à feu. S’en procurer à tout prix pour dominer les peuplades indiennes, voilà leur dessein actuel. Ils ont acheté quarante arquebuses des Hollandais de Manhatte. Après nous avoir capturés, Godefroy et moi, ils n’ont couvé qu’une pensée : exiger des mousquets en échange de notre libération. Ils nous ramènent, ils soumettent leur chantage : premier refus. Ils nous délivrent, croyant obtenir par reconnaissance ce que la force ne leur a pas donné : deuxième refus. Ils promettent mer et monde : venir en traite, édifier une résidence française dans leur pays, conclure la paix : troisième refus.

Marguerie parla plus bas encore :

— Reconquérir la maîtrise du fleuve, voilà, nous le croyons, leur volonté de fond. À cet effet, nous détacher d’abord de nos alliés sauvages afin d’exterminer avec les armes à feu ces ennemis héréditaires ; puis se retourner contre nous ensuite