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Un brigantin, trois pinasses armées étaient mouillées à quelques encablures de la rive droite vis-à-vis des Trois-Rivières. La douceur de la lumière du soir s’éteignait dans un ciel presque vert. Mais les rayons obliques frappaient encore l’eau mouvante comme ils auraient frappé un miroir ondulant et, réfléchis, s’en allaient jouer et danser sur le dessous des feuillages et sur la façade d’un fortin de troncs d’arbres à peine dissimulé à la lisière de la forêt. Lisse et moiré, le courant se déchirait sur les étraves avec un clapotis léger.

Le Gouverneur, deux Jésuites, soixante-dix soldats et colons recrutés à la hâte de Québec aux Trois-Rivières, se tenaient là, debout, appuyés sur les lisses. Ils observaient l’armée iroquoise : trois cent cinquante guerriers répartis autour des feux et apprêtant le repas du soir avec autant de flegme qu’au cœur de leurs bourgades.

Sept canots algonquins parurent en aval très loin, points noirs sur l’immensité du fleuve d’aluminium. Une cinquantaine d’ennemis se précipitèrent dans quelques-unes des pirogues d’écorce d’orme alignées sur le rivage ; ils pagayèrent vivement vers cette proie en poussant leurs huées de guerre. Mais en même temps retentirent les commandements rapides du Gouverneur, les biscayennes levèrent l’ancre, hissèrent les voiles ; se déplaçant vite, elles se maintinrent entre les deux groupes d’esquifs ; mousquets amorcés, les soldats couchaient en joue les guerriers iroquois. Frustrés dans leur espoir de pillage, ceux-ci virèrent de bord et suivis des pinasses, revinrent au campement.

La nuit chaude emplit jusqu’à la cime des arbres la tranchée que le fleuve creusait. Entre le noir des rives, de larges surfaces luisantes