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faiblesse ; l’Iroquois l’ignore encore. Un jour ou l’autre, la France expédiera des secours.

Pierre avait éprouvé de la gratitude pour cette intervention amicale. Mais celle-ci n’avait pas calmé sa conscience à l’égard d’Ysabau. Risquer sa propre vie, qu’importait ? Mais le danger s’étendait maintenant à sa femme. Nul ne pouvait envisager froidement la perspective des supplices pour un être cher. L’amour entrait en lutte avec la passion de son travail. Pierre devrait-il choisir entre son domaine et Ysabau, deux affections qui, comme des arbres accolés, mariaient leurs racines à de grandes profondeurs ?

Avec peu de capital, comment équilibrer ensuite son exploitation s’il l’abandonnait pour de longues périodes ? Il avait tout ordonné ; la tête travaille durant les heures de labeur solitaire ; ensuite, le corps va droit à l’exécution, chaque ouvrage en son temps ; et ainsi la forêt devient emblavure, la cabane, maison, la vache, troupeau. Dans cette charpente fragile, comment trouver place pour l’ouragan ?

Pierre avait assumé le risque pour Ysabau et pour lui, mais non sans remords. Le lendemain, il continua de bûcher avec acharnement ; il prenait de l’avance en pensant aux jours qu’il perdrait infailliblement.

Quand il revint le soir, Ysabau l’attendait sur le pas de la porte. La fumée montait comme un cylindre noir au bout de la cheminée et s’évasait très haut. Dans le calme, l’air semblait s’être figé en une épaisse vitre verdâtre. Ysabau se tenait droite sous le regard de Pierre.

Celui-ci rit longuement.

Alors, elle dit : « Voilà, Pierre, j’ai travaillé ». Les premiers jours, Ysabau avait tout lavé, tout rangé dans la cabane. Puis elle était sortie ; elle avait observé le défrichement, les abattis. Elle entendait les coups de hache, et, soudain, l’écroulement d’un gros arbre. Elle s’était timi-