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les opiniâtres

ébranché, pas écimé ; puis le manche de hache brisé.

— Regardez autour de vous.

Dans le crépuscule sans soleil, saturé de brume, Pierre aperçut l’immobilité de la multitude des troncs nus ; les deux hommes ne pouvaient se mouvoir sans les heurter ; à trente pas, ils ne distinguaient plus rien à claire-voie, la futaie formant masse compacte et mur oppressant.

— Pensez.

Pierre a compris et il rit.

— Vous êtes découragé pour moi ?

Le Fûté sursaute.

— Jérémie, dit-il encore.

— Je n’ai jamais cru que j’abattrais mon arpent la première journée.

— Bon.

— À Québec, j’ai visité des essarts ; tous les colons font du défrichement forestier ; l’ouvrage exige du temps, mais la terre est bonne.

De ses yeux luisants sous les sourcils broussailleux, David Hache examinait ce compagnon.

Pierre s’endormit vite sous les couvertures. Le Fûté débattait son problème. Pierre possédait une volonté, elle se tenait là, enracinée comme un gros chêne. L’entreprise paraissait bonne aussi : extraire de la forêt un domaine agricole. Lui-même y avait déjà songé. « Il veut rester, se disait David Hache, mais le peut-il ? Voilà. Non, il ne le peut sans moué. Savoir s’il le mérite. Ce n’est pas mon enfant. » Et il pensait à soupeser Pierre moralement, à le jauger, à le suivre comme un chasseur, sa proie, sans indulgence aucune, enregistrant chaque jour le pour et le contre.

Le matin vint. Du vent encore, des nuages, un ciel gris ; et cette solitude absolue qui gruge le courage dans le bois ; on se sent seul dans la création. Et les tâches fatigantes se présentaient toutes en même temps ; layer pour établir commu-