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les opiniâtres

arpents, l’ouvrage ne s’exécutera ni dans le jour, ni dans la semaine. Un arpent et demi, deux arpents par année.

— Et le climat ?

— Quatre tranches de matière distincte. L’automne ? Forêt rouge, jaune, du grand vent, des feuilles sèches où tu marches à mi-jambes. L’hiver ? La neige épaisse de trois à quatre pieds : ton rez-de-chaussée est enfoui ; une surface de glace non moins lourde sur toute eau stagnante ou courante ; et du froid : tu n’as besoin de personne pour te l’indiquer. Au printemps, des vents chauds soufflent sur le pays ; libérée en quelques jours, l’eau de quatre ou cinq mois accumulée sous forme de neige ou de glace, dégringole vers la mer en nappes et en torrents, charriant tout. L’été…

La figure animée de Jacques Hertel se figea tout à coup dans une attention vive. Pierre suivit la direction des regards. Et, sur l’isolement du fleuve, il aperçut au loin des canots descendant en formation régulière. Dans le silence du soir, rasant la surface de l’eau, des phrases scandées parvinrent jusqu’à eux. La foule indienne se précipita au dehors des wigwams coniques qui pointaient dans la verdure, et ses clameurs répondirent aux appels lointains.

— C’est un parti de guerre qui revient, dit Hertel.

Il comptait les cris échangés de part et d’autre, afin d’apprendre la victoire ou la défaite, le nombre des prisonniers, des blessés…

Se dépouillant plus tard de leurs robes, des squaws plongèrent dans l’eau du bord, couverte de l’ombre des arbres, déjà noire ; elles émergèrent plus loin dans le soleil et nagèrent vigoureusement ; les premières à atteindre les canots brandiraient en leurs wigwams les scalps d’Iroquois qu’échevelait le vent au bout de longs bâtons.