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les opiniâtres

Filant en silence comme une flèche, un jeune garçon les dépassa tous ; puis des hommes s’élancèrent dans le chemin qui montait en pente douce ; des jésuites même apparurent à la porte d’un vaste bâtiment de pierre et, comme s’ils eussent été aspirés par un courant, suivirent la foule.

— Mais qu’est-ce qu’il y a ? demanda Pierre. Et, déjà anxieux, il songeait aux Iroquois.

— Je vais voir, dit Yseult.

Elle s’éloigna à vive allure, fine silhouette en deuil. Parvenue à la ligne de faîte, là où l’on voyait le fleuve, elle se retourna, esquissa des signaux pressés. Pierre accourut, et soudain il vit :

— Un navire, un navire.

Voilure dehors, débouquant du chenal entre l’île d’Orléans et la rive sud, se détachant en bas, dans l’éloignement, sur un fond de nuages bleuâtres et de verdure, un gros bateau s’approchait.

Alors, le délire s’empara de la population : elle se rua dans la route tournante qui dégringolait de la falaise : hommes, femmes, enfants descendaient sans plus savoir ce qu’ils faisaient.

Et ils s’alignèrent sur le rivage, au ras de l’eau. Le silence se fit. Portée par la marée, poussée par le vent, voiles blafardes, la lourde nave progressait en ligne droite, sans un bruit, sur l’immensité du bassin. De nouveaux arrivés se joignaient toujours à la multitude tendue dans une douleur d’attente.

Les minutes s’écoulaient. Yseult avait de jeunes yeux perçants ; debout sur un poteau de l’appontement, soutenue par son père, elle regardait, pétrifiée dans un effort d’attention. Tout à coup, sa voix éclata, vibrante : —

— Papa, je vois des soldats !

Mais comme si elle eût tenu une proie sous ses regards, comme si elle eût été peu sûre de ce qu’elle avait d’abord distingué, elle ne remuait pas, elle ne se détournait pas. Puis elle cria encore : —

— Papa, je vois bien maintenant ; c’est vrai, papa, il y a des soldats… Je vais avertir maman.