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Une fois seule, Ysabau étendit lentement ses membres entre les draps de lin rude ; elle laissa sa tête choir au profond de l’oreiller de plumes, se laissa couler dans le silence, dans la paix. La pensée de François, de Paul, de Koïncha lui revint ; elle pleura sans bruit. Une Hospitalière entra à pas feutrés ; elle la gourmanda un peu : pourquoi ne pas s’abandonner à plus fort qu’elle, ne pas se blottir entre des bras qui berceraient sa faiblesse et sa souffrance ?

Une fenêtre demeurait ouverte. De son lit, Ysabau voyait un peu de verdure jeune, des branchettes, de petites feuilles encore roulées s’inscrire en filigrane sur un rectangle de ciel. Elle imaginait le paysage que l’on apercevait des hauteurs de l’hôpital : la côte de Beauport, l’île d’Orléans, le Cap Tourmente, bleuâtre, rond, posé sur le rivage au loin comme une borne cornière, le fleuve se divisant en deux, s’ouvrant une large issue le long des montagnes et partageant la Nouvelle-France.

Le printemps était venu ; il se fondrait bientôt dans un bref été. L’été canadien : celui-là seul en connait la douceur, qui l’a attendu pendant des mois de neige et de froid, dans les glaces et le verglas. Il dépêche au-devant de lui, en éclaireurs, quelques journées semblables à celles qui avaient accompagné Ysabau dans sa descente en bac sur le Saint-Laurent. Pas de vent. Tout le corps boit la chaleur à pores béants. Chaque bruit retentit comme un tintement de timbales. Le soleil flambe. Délivrée, l’eau luit. La douceur de l’air s’insinue dans les muscles, dans les nerfs, et, par les poumons, jusqu’à l’intérieur de la chair. Un flux de vie submerge le pays.

Ysabau s’endormit dans la suavité du matin. Pendant ce temps, Pierre errait par le bourg.